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Kamal Lazraq • Réalisateur de Les Meutes

"C’est tragique, burlesque, rocambolesque, parfois violent, parfois mystique"

par 

- Le premier long du cinéaste marocain, un film haletant dans les bas-fonds de Casablanca, distingué à Cannes par le prix du Jury Un Certain Regard, arrive dans les salles françaises

Kamal Lazraq • Réalisateur de Les Meutes
(© Lvonder Weid)

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interview : Kamal Lazraq
fiche film
]
, le palpitant premier long du Marocain Kamal Lazraq (diplômé en 2011 de l’école parisienne La Fémis) a reçu le prix du Jury Un Certain Regard au 76e Festival de Cannes et débarque le 19 juillet dans les salles françaises, distribué par Ad Vitam.

Cineuropa : Les Meutes se déroule sur une journée et surtout une nuit. Qu’est-ce qui vous a attiré vers une intrigue en temps resserré ?
Kamal Lazraq :
Dans mon court métrage L’homme au chien, tout se passait déjà en une nuit : un jeune homme se faisait voler son chien, pensait que c’était peut-être les gangs des combats de chiens qui l’avaient et le cherchait toute une nuit dans différents quartiers des bas-fonds de Casablanca. Ce dispositif d’une nuit permet de mettre en place une intensité : on est embarqué avec le personnage, on n’a pas trop le temps de réfléchir et on a très vite un rapport assez physique au film. J’avais envie de développer cela sur une forme plus longue avec Les Meutes. J’avais aussi trouvé que le milieu clandestin des combats de chiens était une métaphore assez forte car ce sont aussi des hommes qui se battent entre eux pour essayer de survivre, des gens souvent issus de milieux très défavorisés qui font cela pour gagner leur vie, des hommes qui s’entretuent parfois pour des motifs assez futiles. Tout cela s’est mélangé dans les inspirations et c’est ainsi qu’est née l’idée du long métrage.

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Cette fois, le récit est centré sur un père et son fils. Pourquoi ?
Comme je travaille avec des acteurs non-professionnels, je rencontre beaucoup de gens qui me racontent leurs vécus. Pendant le casting d’un précédent court, j’avais croisé deux personnes qui travaillaient ensemble, qui avaient l’âge d’être un père et un fils et qui m’avaient raconté comment ils enchaînaient les petits boulots et comment parfois, en acceptant un job un peu plus risqué que les autres, ils pouvaient se retrouver pris dans des engrenages infernaux. Je ne les avais pas retenus pour le film, mais leur histoire m’est restée en tête. Cela me faisait penser au Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, à cette déambulation dans la ville d’un père et de son fils pour tenter de régler leurs problèmes. J’ai donc commencé à écrire sur un père et un fils qui essayent de survivre au jour le jour et qui se retrouvent pris dans un cauchemar, dans quelque chose qui va les dépasser complètement. Le point de départ était donc assez documentaire et j’ai développé cela. Au Maroc, le rapport au père est assez sacralisé, la parole du père et son autorité sont difficilement contestables. Donc dans le film, le fils suit le père même s’il prend de mauvaises décisions flagrantes mais j’avais envie qu’il y ait un point de bascule et que le fils prenne les commandes à un moment, qu’il y ait un renversement à la moitié du film.

Jusqu’à quel point vouliez-vous faire le portrait des marges de la société marocaines ?
Le début du film ancre les personnages dans une réalité sociale. On voit qu’ils sont issus de quartiers pauvres, qu’ils essayent de survivre et qu’ils acceptent un travail pour gagner leur croûte, mais le film s’éloigne ensuite un peu de cela : on entre dans le film noir, dans l’enchaînement de péripéties avec un rythme haletant. Mais chaque séquence, en sous-texte, livre quelques éléments permettant de dresser le tableau d’une des réalités sociales de Casablanca : la survie, la croyance et à la superstition, la peur d’être maudit, le fait que rien ne soit gratuit, chaque personnage croisé essayant de gratter quelque chose des deux protagonistes.

Pourquoi recourir à des non-professionnels ?
J’avais expérimenté cela pour mes deux précédents courts. D’abord, au Maroc, le vivier d’acteurs professionnels n’est pas énorme. En revanche, quand on se balade dans les rues, on croise souvent des visages très expressifs, des corps, des gueules, et quand on creuse un peu, il y a des histoires, des vécus. C’est une vraie richesse et pour peu qu’on mette en place une méthode qui permette à ces non-professionnels de s’exprimer, on peut atteindre une authenticité et une intensité assez fortes et que je pense plus difficilement atteignable avec des professionnels. Je préfère partir de zéro avec des non-professionnels et construire avec eux, adapter les dialogues avec eux, faire en sorte qu’ils se sentent libres d’utiliser leurs expériences pour enrichir les personnages, plutôt que de travailler avec des professionnels qui ont leurs réflexes, leurs tics de jeu et de devoir les déconstruire. Évidemment, cela oblige à un dispositif plus souple, il faut que la technique soit à leur service : pas de marques au sol, pas de découpage très strict. Car dès qu’on les contraint, la spontanéité que l’on recherche se perd très vite. C’est aussi un risque, car certains jours, ils n’y arrivent pas et il faut s’adapter, réécrire des séquences, accepter les accidents et les imprévus.

Dans quelles directions avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie Amine Berrada ?
Il fallait se servir de l’existant. Nous avons tourné beaucoup en décors naturels, en extérieur. Casablanca est éclairée par des lumières assez chaudes : du vert, du jaune, de l’orange. Il y avait aussi l’envie que dans les nombreuses séquences très peu éclairées, les visages surgissent de l’obscurité, qu’on soit un peu perdu comme les protagonistes : parfois on ne voit pas grand chose car les acteurs non plus. Cela participait au côté immersif que nous voulions donner au film. La plupart des acteurs ont des visages très marqués et il suffisait parfois juste de les éclairer d’un côté pour accentuer le côté très pictural et très brut de l’image. Cela c’est fait de manière très instinctive, en s’adaptant aux décors. Nous n’avions pas envie d’une image léchée, lisse, mais qu’il y ait du grain, que cela bave un peu, que ce soit parfois flou, mais qu’on accepte les défauts passagers du film pour avoir ce côté très organique, très charnel qui participe à l’immersion du spectateur.

Néo-réalisme, films noirs, cinéma américain des années 70 : Les Meutes fait penser à de nombreux héritages cinématographiques. Quelles influences vouliez-vous mêler ?
Le point de départ était assez néo-réaliste. J’ai évoqué Le voleur de bicyclette, mais je pensais aussi à Accattone de Pasolini pour les visages et pour ces personnages un peu paumés qui essayent de s’en sortir dans les faubourgs de la ville. Mais j’avais aussi envie que le film s’éloigne du réalisme social et qu’on aille un peu vers l’onirisme avec également des touches d’absurde et de burlesque. Cela reste néanmoins un film marocain, très ancré dans la réalité de Casablanca, donc c’est la ville et ses nuits qui m’ont inspiré : c’est tragique, burlesque, rocambolesque, parfois violent, parfois mystique. Le style du film vient beaucoup de cette réalité locale très particulière.

Quel sera votre prochain projet ?
J’ai commencé à écrire. Ce sera toujours avec des non-professionnels et la même méthode, mais ce sera un peu différent, moins dans le genre, pas une histoire d’amour mais presque.

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