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FILMS / CRITIQUES Grèce / Allemagne / Macédoine du Nord

Critique : Behind the Haystacks

par 

- Asimina Proedrou livre un premier long compétent sur les ambiguïtés morales et les tensions sociales au niveau de la frontière grecque, un film qui a été choisi pour représenter son pays aux Oscar

Critique : Behind the Haystacks
Eugenia Lavda dans Behind the Haystacks

Nous sommes en 2015 à la frontière nord de la Grèce, et Stergios (Stathis Stamoulakatos) croule sous les dettes. Ainsi commence Behind the Haystacks, le premier long-métrage de la scénariste et réalisatrice grecque Asimina Proedrou, qui vient d’être présenté en compétition au Balkan Film Festival de Rome (lire l'article) et a été choisi cette année comme candidat grec à l'Oscar du meilleur film international.

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Comme la vie et le cinéma européen le montrent beaucoup dernièrement, en cas de problèmes financiers, il y a toujours quelqu’un pour proposer une solution rapide, et celle-ci consiste presque toujours à faire passer illégalement la frontière à des migrants. Dans Behind the Haystacks, cette frontière est le lac de Dojran, et ce quelqu’un est le beau-frère de Stergios, qui est toujours dans des affaires louches. Contre l'avis de sa femme Maria (Eleni Ouzounidou), grenouille de bénitier,  Stergios accepte secrètement ce boulot dangereux. Dans le même temps, leur fille adolescente Anastasia (Eugenia Lavda) essaie de faire sa vie en dehors de la bulle oppressante qu'est son foyer, mais hélas, une tragédie va rompre ce récit d’harmonie familiale à la simplicité trompeuse.

Le succès dans son pays du court-métrage Red Hulk (2013) était déjà une carte de visite pour Proedrou. Ce film, qui a gagné des prix à deux importants festivals grecs, a fait d'elle une réalisatrice à suivre et mis en avant sa capacité à analyser de manière extrêmement précise des problèmes socio-politiques qu'elle explore à travers un seul individu. Dans Behind the Haystacks, elle décrit cette relation complexe en adoptant une structure à la Rashomon : chaque partie du film construit à partir des événements montrés en ajoutant un point de vue différent. La tragédie prend ainsi la forme d'un triangle, d'une condamnation, d'une affirmation de l'impossibilité d'aller de l'avant dans la vie sans cicatrices.

Le chef opérateur Simos Sakertzis distille la vision poético-politique de Proedrou à travers un travail qui mêle caméra à l’épaule et réactivité, soulignant ainsi le désarroi psychologique de chacun des personnages individuellement. Pour Stergios, le monde est rapide, répétitif et souvent assourdissant, de sorte qu’il ne peut éviter d'être à la traîne. Entravé par ses dettes et un héritage patriarcal fait d'agression patriarcale qui parcourt tout son être, ce père existe dans un univers fait de décors pesants et d'ineffable solitude. Il est plus souvent montré seul qu'avec d'autres. Le personnage de Maria est perclus de préoccupations et de confusion : les changements de mise au point pendant les prises et les passages rapides d'une scène à l'autre illustrent sa perception, à mesure que la dichotomie morale du bien contre le mal qui l'avait guidée jusque-là se délite et devient faussée. Son allégeance à l’église et aux valeurs chrétiennes l'emprisonne dans le doute et la passivité, de sorte qu'il est tout à fait logique que son chapitre soit celui du milieu, coincé entre deux positions diamétralement opposées. Après tout, beaucoup de mères vivant dans des structures familiales traditionnelles comme celle-ci se retrouvent dans des positions de médiation, mais aussi de docilité.

Behind the Haystacks, un film riche qui mise beaucoup sur les vies intérieures de ses personnages, témoigne de la vision artistique de Proedrou et promet pour l'avenir. Sans se limiter à un seul genre (que ce soit le drame social ou le thriller psychologique), elle livre un film totalement d'actualité qui traite de sujets qui déchirent l'Europe en ce moment – le déni collectif et la complicité politique à travers l’oppression structurelle – et elle le fait avec une attention si bien mesurée, sur le plan esthétique comme au niveau éthique, que son film sort du lot. Il propose un diagnostic qui tout en restant extrêmement poétique, est affûté comme une lame de rasoir.

Behind the Haystacks a été produit par la société athénienne Argonauts Productions, en coproduction avec Fiction Park (Allemagne) et Sektor Film (Macédoine du Nord). Les ventes internationales du film sont assurées par TVCO.

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(Traduit de l'anglais)

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