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BLACK NIGHTS 2023 Compétition films baltes

Critique : Dark Paradise

par 

- L'élégant deuxième long-métrage par Triin Ruumet est une explosion de rage doublée d'une démonstration d'acrobaties visuelles ; hélas, l'essence du film se perd dans tous ces sauts périlleux

Critique : Dark Paradise
Rea Lest dans Dark Paradise

Dark Paradise [+lire aussi :
interview : Triin Ruumet
fiche film
]
de Triin Ruumet (The Days that Confused [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Triin Ruumet
fiche film
]
), un film dense qui était en lice dans la section Compétition balte du Festival Black Nights de Tallinn, pourrait diviser les spectateurs en deux camps opposés, mais qu’on aime ce titre ou qu’on l'abhorre, il donne indéniablement de quoi parler.

Le film s’ouvre sur une veillée à cercueil ouvert. Le défunt, un homme très bien habillé appelé Martin, est le cher papa de Karmen (Rea Lest). On comprend vite que l'image qu'a Karmen de son père est très éloignée de ce qu’il était en réalité. La rage de l'orpheline se manifeste de nombreuses manières différentes, mais elle va finir par se déchaîner entièrement sur son demi-frère Viktor (Jörgen Liik), un garçon timide avec qui elle n'a pas grandi, qu'elle défigure irrémédiablement pendant un baptême de jacuzzi très arrosé.

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On a du mal à ressentir de la compassion pour la riche princesse à son papa. Comme le film ne propose pas d'histoire de fond solide qui expliquerait les actes de Karmen, ils font l'effet de gestes de rébellion futiles de la part d’une enfant gâtée qui voit sa vie insouciante lui filer entre les doigts. Certes, elle est désorientée, secouée et intérieurement tiraillée, mais on a l'impression que son deuil devient une excuse pour justifier sa vie hédoniste et son mépris absolu des autres.

Si l'élément coquin de sa relation avec Renee (Juhan Ulfsak) est consensuel, leur lien est autrement toxique et frôle l'abus. Une conversation "du lendemain matin" illustre cette dynamique : il dit qu’il préfère les brunes sexy et elle répond qu’elle apprécie la distance qu’il y a entre eux. Karmen aime être frappée et étranglée par Renee, mais son vrai masochisme réside dans le fait qu’elle cache son besoin de proximité derrière une façade décontractée et nihiliste.

Karmen est entourée d’autres camarades narcissiques qui purifient leurs âmes en faisant des séances de thérapie chamanique et font étalage de leur agiliité intellectuelle en recrachant des pseudo-réflexions philosophiques à la petite semaine sur l'inexistence de la normalité. Ils constituent un bruit de fond, mais ne deviennent jamais de vrais personnages, avec une épaisseur. Sont-ils délibérément exagérés et banals, ou le film se prend-il vraiment au sérieux ?

Bien qu'il soit décédé, la présence de Martin demeure, et il reste une idole. Son héritage financier complique encore davantage la relation déjà compliquée Karmen avec sa mère. Compte tenu du contexte historique des années 1990 dans les pays post-soviétiques, connues pour avoir été sauvages et corrompues, on peut présumer sans se tromper que Martin a acquis sa fortune illégalement. Les nombreuses photos encadrées de lui qu'on voit font l'effet d'un autel, et sa tombe d'un lieu de pèlerinage pour ses deux enfants.

Pour Viktor, qui a apparemment grandi sans Martin, une photographie de ce dernier sur une moto nourrit la légende. Dès le moment où il se voit contraint d'envisager le reste de sa vie avec une croix gammée et des parties génitales masculines tatouées sur le visage (cadeau de Karmen lors de son baptême-bizutage), le sociopathe qui sommeillait en Viktor est libéré : il terrorise Karmen, modifie ses tatouages de manière à ressembler à un sataniste et s’immerge violemment dans l'univers des skinheads et des motards. Mu par son sentiment d’humiliation et la rivalité entre lui et sa sœur, Viktor transpire le désir de vengeance, ce qui en fait un personnage mieux dessiné que Karmen en termes de motivations – sauf que toute cette énergie de vengeance part en fumée dans le bouquet final. Lest et Liik forment un tandem magnétique et montrent qu'ils n'ont pas froid aux yeux, parvenant même à combler certains blancs scénaristiques dans la composition de leurs personnages respectifs.

Le chef décorateur Matis Mäesalu et la costumière Liis Plato font ici un travail louable et détaillé, donnant au film une esthétique de carte postale. La bande sonore un peu punk et le tempo vigoureux de l'action associés à ces visuels décoratifs évoquent un vidéo clip avant-gardiste.

À l’écran, les vies des deux enfants de Martin ont des allures très différentes : des couleurs très vives et une atmosphère psychédélique et cauchemardesque dominent dans les scènes où apparaît Karmen ; celles de Viktor ont un ton plus sombre, plus affecté.

Dark Paradise, qui fait chaotique et manque de nuances, suscite des sentiments partagés. Le film se veut un récit d’apprentissage millénial, mais la forme triomphe sur le contenu et la profondeur psychologique.

C'est toutefois un film audacieux, qui rend compte du fait que le monde peut sembler tout noir ou tout blanc quand on est jeune et saoul et qu'on romantise l’autodestruction totale.

Dark Paradise a été coproduit par Three Brothers (Estonie) et Chevaldeuxtrois (France).

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(Traduit de l'anglais)

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