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"L’objectif est sensiblement le même que celui de la coordination de cascades"

Dossier industrie: Tendance du marché

Paloma Garcia Martens • Coordinatrice d’intimité

par 

Rencontre avec la coordinatrice d’intimité pour discuter les détails et les défis de ce métier encore rare de ce côté-ci de l’Atlantique

Paloma Garcia Martens • Coordinatrice d’intimité
(© Caroline Dubois)

Rencontre avec Paloma Garcia Martens, coordinatrice d’intimité, métier encore rare de ce côté-ci de l’Atlantique. Elle vient de travailler sur le plateau de Split, la première série de la critique de cinéma Iris Brey bien connue pour son analyse du male et du female gaze, et sera bientôt sur celui du film américain tourné en Bulgarie Subservience.

Cineuropa : Pour commencer, comment vous décririez-vous votre travail, encore très méconnu ?
Paloma Garcia Martens
 : La coordination d’intimité a pour but d’apporter un cadre et un processus clairs lors du tournage des scènes de nus, d’intimité ou de sexe simulé. L’objectif est sensiblement le même que celui de la coordination de cascades, faire en sorte que les scènes aient l’air réalistes à l’image, sans que les gens soient blessés. Si les blessures de l’intime sont tout de même différentes, il y a néanmoins une grande partie de la chorégraphie qui est axée sur la sécurité.

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Bien sûr, l’intimité, c’est subjectif personnellement et relatif culturellement. Cela peut relever de choses qui semblent évidentes comme la nudité ou le sexe simulé, mais ça peut aussi être le fait de montrer ses cheveux, d'accoucher, ou de recevoir des insultes racistes en tant que comédien racisé. L’essentiel de mon travail, c’est de faciliter la communication entre les acteurs et la production, en proposant un espace de neutralité qui va agir en dehors des dynamiques de pouvoir. Ces relations de pouvoir ne sont pas néfastes en soi, mais elles rendent le consentement plus difficile à obtenir, car un "non" ou un "peut-être" peuvent avoir des conséquences professionnelles. J’essaie d’avoir des informations sur les limites et des besoins des comédiens et comédiennes, et on trouve des solutions avec la production qui permettent de raconter l’histoire le mieux possible.

Y’a-t-il une intervention en amont du tournage ?
La question de la représentation m’intéresse aussi dans ces scènes d’intimité. Malheureusement, elles sont souvent une occasion ratée de raconter quelque chose, quand on s’en tient aux clichés. Il m’arrive donc de consulter en amont, j’essaie de comprendre quel est le but de la scène, comment elle fait avancer la narration, qu’est-ce qu’elle dit des personnages ? Il y a souvent des rapports de domination qui ne sont pas forcément conscients, qui correspondent à ceux que l’on trouve dans la société, qui ont imprégné nos imaginaires romantiques, érotiques et sexuels. Si on va vers un type de domination, autant le faire en toute conscience, que cela serve l’histoire. L’idée est de mettre autant de soin et d’attention dans ces scènes que dans les scènes de cascade, en y ajoutant une dimension artistique. Je ne suis pas là pour imposer une censure, mais plutôt là pour clarifier ce que l’on veut raconter. Pour avoir quelque chose de plus riche, pas de plus lisse.

Cela soulève une autre question : le cinéma est un art, mais aussi une industrie, donc avec des travailleurs, qui ont des devoirs mais aussi des droits.
Oui, il faut bien se rappeler que l’on est au travail, ce que beaucoup de gens ont l’art d’oublier, dans des contextes où la proximité peut être très forte. Mais la proximité ce n’est pas l’intimité. Dans n’importe quelle autre industrie, se mettre nu devant ses collègues, ce serait complètement aberrant. Ici, des filtres tombent, des confusions s’opèrent, on ne prend pas la mesure de ce qu’on demande, et de l’impact du travail sur les équipes, sur les acteurs comme sur les techniciens. Ca peut réactiver des traumas pour tout le monde. La question de la vulnérabilité est un énorme tabou dans le milieu de l’audiovisuel, où il y a beaucoup de pressions d’argent, de temps et d’égo, avec beaucoup d’appelés et peu d’élus, où il faut se battre pour faire sa place. Faire la perche à 50cm d’une scène de violence sexuelle, ça peut être extrêmement traumatisant, quand on sait que 48% de la population belge, tous genres confondus, a connu des violences sexuelles. La dimension du soin est vraiment importante, et pourtant oubliée, souvent reléguée au HMC (habillage-maquillage-coiffure), c’est d’ailleurs une charge mentale pour ces personnes, je le sais, j’ai été habilleuse pendant 12 ans.

Comment ce métier est accueilli par le milieu, y’a-t-il des résistances ?
J’ai la chance de rencontrer beaucoup de gens qui se posent déjà ce genre de questions. Mais il y a aussi celles et ceux qui trouvent que l’on exagère un peu, que les comédiens travaillent avec leur corps, que c’est leur métier. En France, on nous parle aussi beaucoup de censure, il y a une réaction de rejet face à ce que l’on qualifie de puritanisme américain, ça menace l’exception culturelle française.

Ce qui est compliqué, c’est que le changement, ça a l’air chouette en théorie, mais en pratique c’est un peu embêtant, même pour les personnes demandeuses. Ce qu’on me dit le plus souvent, c’est "Je suis bienveillant, je n’en aurai pas besoin. Mais ce n’est pas une question de personne, c’est une question de casquette. Quand on est le chef, on est forcément dans une position de pouvoir. La nouveauté fait peur, mais c’est comme quand on met des nouvelles chaussures, au début c’est inconfortable, mais après on est bien content d’avoir mis des bottines et pas des tongs pour grimper l’Himalaya !

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