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Nabil Ayouch • Réalisateur

“Ne pas penser les victimes de façon unilatérale”

par 

- Avec Les Chevaux de Dieu, révélé au Certain Regard cannois et lauréat de deux prix à Namur, le réalisateur Nabil Ayouch remonte aux origines des attentats qui ont secoué Casablanca en mai 2003.

Avec Les Chevaux de Dieu [+lire aussi :
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interview : Nabil Ayouch
fiche film
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, révélé au Certain Regard cannois et lauréat de deux prix à Namur, le réalisateur Nabil Ayouch remonte aux origines des attentats qui ont secoué Casablanca en mai 2003.

Nabil Ayouch se fait connaître en 1997 avec son premier long métrage, Mektoub, qui remporte un énorme succès au Maroc et qui représente ce pays pour la course aux Oscars, tout comme son deuxième long, Ali Zaoua (2000), diffusé dans le monde entier. En 2008, il tourne Whatever Lola Wants, entre New York et Le Caire. Il milite notamment pour l’implantation de salles de cinéma au Maroc en milieu rural et périurbain.

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Cineuropa : Comment s’est passé le tournage dans les bidonvilles ?
Nabil Ayouch : Il était crucial de respecter le quartier et sa population. Nous avons commencé par raconter l’histoire du film aux habitants. C’était important de parler avec eux, de leur dire quel film nous voulions faire et de quelle manière, quel serait notre point de vue. Leur expliquer que nous ne voulions pas faire de ces jeunes garçons des super héros, que nous n’allions pas pardonner l’impardonnable, mais qu’il était important de mettre des visages, des histoires sur ces jeunes garçons devenus kamikazes. Bien qu’il soit évident que ces habitants vivent à la marge et sont stigmatisés par la société, avec le film, nous avons contribué à l’économie du bidonville, que ce soit par la construction des décors, en engageant des assistants ou des figurants. Nous avons pu établir une relation de confiance avec les habitants. Ca n’a pas été simple tous les jours, la misère apporte forcément de la violence. Certaines nuits ont été très compliquées pour l’équipe. Si la majorité des habitants étaient heureux de notre présence, il y avait bien une minorité, menée par des salafistes, qui n’étaient clairement pas satisfaits de notre présence et qui nous l’ont fait sentir. J’avais déjà eu l’occasion de travailler dans ces quartiers en 1999-2000, lors du tournage d’Ali Zaoua, Prince des Voleurs. Ces quartiers ont beaucoup changé, ils ont connu une forte urbanisation. Ce qui y manque aujourd’hui, c’est un lien culturel. Il n’y a pas de théâtre, pas de cinéma. Mais le tissu associatif y est très fort, notamment via le sport, qui a permis aux gens de reprendre les choses en main. On a assisté à une véritable prise de conscience de la société civile.

Le film frappe par la mise à distance, l’absence de jugement hâtif et définitif sur la trajectoire de ces jeunes kamikazes.
Ce n’était pas l’objectif de juger ces jeunes qui sont eux aussi de la chair à canon. Ils sont instrumentalisés par le contexte économique, par les textes. Ils sont aussi victimes. Ce serait trop facile de les juger. L’idée, c’était de donner des clés de compréhension. On ne devient pas kamikaze juste parce qu’on est pauvre et on ne nait pas kamikaze : on le devient.

Vous montrez une société qui ne laisse pas beaucoup de place à l’amour, ni même à l’intimité.
La relation au sexe est complètement biaisée dans cette société. Il n’y a pas de droit à l’intimité pour les jeunes hommes et les jeunes femmes en dehors du mariage. L’amour est mis à distance, l’amour est impossible. Or l’amour, c’est la seule chose qui aurait pu les sauver, comme le suggère la relation interdite entre Yachine et Ghislaine. On ne laisse pas les gens aimer et on ne les laisse pas être aimés. Du coup, l’apprentissage de la sexualité se fait entre femmes, ou entre hommes. D’où des sortes de séances initiatiques, qui débordent parfois en viol.

Pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui ?
Je n’ai pas fait ce film dans l’urgence, ce n’est pas mon mode de fonctionnement. J’ai pris beaucoup de temps pour penser à la façon d’aborder le sujet de ces jeunes qui avaient commis l’horreur, et qui habitaient à quelques kilomètres de chez moi. Au lendemain du 16 mai 2003, j’avais fait un documentaire d’une quinzaine de minutes sur les victimes des attentats. Je m’étais un peu trompé, en pensant unilatéralement les victimes. J’ai travaillé sur le terrain, avec les habitants, le milieu associatif, des sociologues. On ne peut pas dire n’importe quoi sur la religion. L’idée n’était pas de stigmatiser l’Islam. La mise à distance était fondamentale pour ne pas être lourd. J’ai commencé l’écriture du scénario avant de tomber sur le livre de Mahi Binebine. J’y ai trouvé un point de vue, qui ressemblait à celui que je voulais adopter, j’y ai trouvé des histoires humaines, des corps, des visages. Il est important aujourd’hui que le film circule dans le monde arabe. Je crois en l’intelligence du public si l'on fait appel avec respect à cette intelligence, si l'on use d’un langage qui y fait appel. Le film est vendu dans le monde arabe, et sortira au Maroc en janvier prochain, en même temps qu’en Europe.

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