email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

Gérard Corbiau • Réalisateur

La place de l’Histoire dans le cinéma d’aujourd’hui

par 

- Le réalisateur belge Gérard Corbiau, auteur de plusieurs films historiques dont Le Roi danse, évoque la place de l’Histoire dans le cinéma d’aujourd’hui

Gérard Corbiau • Réalisateur

L’Histoire tient une place de choix dans l’œuvre de Gérard Corbiau. Il est un des rares réalisateurs belges francophones à situer ses sujets dans le passé. Qu’il s’agisse des relations entre un professeur de chant et son élève dans Le Maître de Musique, de la difficulté de l’identité masculine dans Farinelli ou de l’affirmation du pouvoir par l’art dans Le Roi danse, la toile de fond, le décor, le prétexte à l’intrigue, appartient à notre héritage historique et place le Beau au centre de l’image.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
Hot docs EFP inside

Cineuropa : Le Festival international du Film historique de Waterloo (FIFH) comble-t-il un manque au regard de la production cinématographique actuelle ?
Gérard Corbiau : Dieu sait le nombre de films dont le sujet est l’Histoire. On peut d’ailleurs déplorer que dans nos pays — j’exprime ici une opinion toute personnelle —, que ce soit la France ou la Belgique, ces productions sont pratiquement inexistantes. Il y a encore des pays de production de fictions historiques comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, l’Espagne aussi, ou encore les pays de l’Est. Mais dans nos contrées francophones, la fiction historique n’est pas considérée à sa juste valeur, du fait qu’on est d’abord porté sur la réalité contemporaine, le réalisme immédiat — qui selon moi manque cruellement de perspective. Car c’est ça aussi l’intérêt des films historiques. C’est qu’ils offrent une perspective, qu’ils nous aident à nous poser les bonnes questions. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? L’Histoire nous a façonné, nous a amené à être ce que nous sommes aujourd’hui. Culturellement, je trouve ça important et intéressant ; c’est même primordial.

Dans ta réponse, tu évoques la situation en Belgique, en tous cas en Belgique francophone ; ce qui n’est peut-être pas tout à fait la même chose en Flandre.
Que tu as raison ! C’est tout à fait vrai !

Cette situation est-elle due à un manque d’inspiration de la part des auteurs et des réalisateurs ou est-ce le fruit d’une volonté politique ?
Si ce type de productions existe en Flandre, c’est parce qu’il y a une volonté politique. Il y a toujours eu un problème d’identité en Flandre, et les films qu’elle produit parviennent à régler ce problème. C’est bien. Mais chez nous, dans la partie francophone, il y a une espèce de suffisance. On n’a pas le même problème identitaire parce qu’on la croit bien assise. Quand je parlais des pays de l’Est, c’est la même chose, il y a un besoin de retrouver une identité, ses racines.

Un film sur Léopold II par exemple, est-ce une entreprise envisageable chez nous ? J’ai parfois l’impression qu’il y a des sujets historiques auxquels on ne peut pas toucher.
Ce n’est pas qu’on ne peut pas y toucher, c’est qu’on a l’air de penser que ce n’est pas important. Ce qui serait très beau, ce serait de faire un film sur Livingstone et Stanley, sur la découverte du Congo.

Il y avait le projet de Benoît Lamy avec Sean Connery ; un film qui ne s’est jamais fait.
Tu as tout à fait raison. J’avais d’ailleurs un ami producteur qui avait voulu faire ça. Et avec raison ! Mais ça demande des moyens. Evidemment, on ne peut pas faire un tel film avec deux millions ou deux millions et demi d’euros, c’est-à-dire avec le budget moyen des films qu’on produit chez nous. D’autant que ça devient la norme, une norme contraignante. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. Comment veux-tu faire un film historique aujourd’hui avec deux millions et demi d’euros ? Quand je m’adresse à des producteurs ou à des financiers pour un projet de film historique, ils me répondent que ce sont des sujets de télévision, et pas de cinéma. Alors qu’il y a de multiples passerelles entre la télévision et le cinéma aujourd’hui, à tel point que c’est assez difficile de les différencier. C’est sans doute une manière d’écarter ce type de projets. Mais il est vrai que la télévision produit pas mal de fictions historiques, pas toujours avec les talents ou les budgets qu’il faudrait, ou avec le temps qu’il faudrait.

La manière de faire un film historique aujourd’hui a-t-elle changé avec l’évolution des techniques cinématographiques, mais aussi avec le contexte de la production, et ce depuis vingt, trente ou quarante ans ?
C’est vrai. Le cinéma a évolué. Il y a aujourd’hui un type de narration qui n’est plus du tout le même qu’avant — je pense par exemple à la violence qui était nettement moins présente par le passé, où l’on pouvait encore se permettre des rêveries, une certaine forme de poésie, comme au temps de Luchnino Visconti. Aujourd’hui, un film historique a un côté plus réaliste. On ne cherche pas à éviter les scènes de guerre, au contraire. Dans Le Roi danse, il y avait plusieurs scènes de guerre que je n’ai pas pu tourner parce qu’elles étaient trop chères.

Y a-t-il dans les films que tu as vus pendant le festival des thématiques récurrentes ?
Les deux guerres mondiales occupent une place importante dans les films de la sélection, beaucoup de pelotons d’exécution ­— c’est absolument incroyable —, comme dans le film espagnol La Voz Dormida (The Sleeping Voice) — merveilleusement bien interprété et réalisé — que dans le film anglais Private Peaceful. Un jour, on a vu trois films successivement et il y avait dans chacun d’eux une scène de peloton d’exécution…

Qu’est-ce que tu retiens de ton expérience de Président du jury et est-ce qu’il y a eu un consensus rapide ?
On s’est très bien entendu. Il y avait une belle ambiance. L’humour l’a toujours emporté. Il n’y a pas eu d’ayatollahs… Encore que… (Rires). J’ai vécu d’autres expériences qui ne se sont pas passés aussi bien, qui étaient emprunts d’un rigorisme épouvantable. J’ai très vite mis tout le monde en confiance ; je m’entretenais régulièrement avec chacun des membres pour faire le point sur la situation, pour sentir la façon dont ça allait se passer lors des délibérations. Quatre films se sont vite détachés des huit films de la sélection, et trois se retrouvent dans le palmarès.

Ta filmographie est historique. Le prochain film de Gérard Corbiau sera-t-il historique et si oui pourquoi ? Feras-tu un jour un film contemporain ?
Je pense tout simplement que je ne suis pas capable de raconter une histoire contemporaine. Je me sens très mal à l’aise avec le côté réaliste de notre cinéma. Je ne parviens pas à imaginer des personnages qui aient suffisamment de souffle pour exister aujourd’hui. Ou alors ce serait des « petits » personnages. Quand j’ai fait Le Maître de Musique, ma productrice m’a dit : « Gérard, si tu veux continuer, tu dois faire des petits films. » C’est terrible quand tu entends ça. Je n’ai pas fait ce film pour faire une carrière, mais pour faire du cinéma. L’important est de faire des films dans lesquels on peut se retrouver. Les « petits » films, je n’en ai jamais voulu. La riposte immédiate a été Farinelli, en passant aussi par L’Année de l’éveil.

L’Histoire oubliera-t-elle le cinéma et si non quels films va-t-elle retenir selon Gérard Corbiau ?
Quels sont les films qui résistent au temps ? Ce sont souvent des films historiques. Docteur Jivago, Lawrence d’Arabie, Ludwig et le Crépuscule des dieux. Ce sont les grands films de l’histoire du cinéma. Ils apportent une possibilité de rêve, de poésie ; ils nous arrachent à la réalité, apportent un souffle qui vous aide à vivre… tout simplement. Qu’allons-nous retenir des petits films francophones, français d’aujourd’hui ? Aussitôt vus, aussitôt oubliés. Parce que ces films manquent de souffle, de merveilleux, de romanesque. On a peur du romanesque. Les Flamands ne sont pas comme ça.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy