email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

Andrea Picard • Directrice artistique, Festival Cinéma du Réel

"L’imagination ne peut pas être mise dans des catégories"

par 

- Rencontre avec Andrea Picard, nouvelle directrice artistique du festival Cinéma du Réel dont la 40e édition se déroule à Paris du 23 mars au 1er avril

Andrea Picard  • Directrice artistique, Festival Cinéma du Réel

Travaillant depuis 1999 pour le Festival de Toronto (où elle dirige la section Wavelengths consacrée aux films expérimentaux, aux essais et aux documentaires), la Canadienne Andrea Picard est aussi devenue directrice artistique du Festival Cinéma du Réel (40e édition à Paris du 23 mars au 1er avril – lire la news).

Cineuropa : Quelle touche personnelle voulez-vous apporter à la ligne éditoriale de Cinéma du Réel ?
Andrea Picard
 : J’ai toujours eu énormément d’admiration pour ce festival très cinéphile qui fait converger l’Histoire du cinéma et la création contemporaine. Le défi, c’était de trouver une manière de célébrer le 40e anniversaire, de rendre hommage aux origines prestigieuses du festival (sous l’égide de Jean Rouch, avec Joris Ivens dans les premiers jurys, etc.), mais aussi d’être dans la prospection avec la jeunesse. Il y a donc beaucoup de premiers films cette année que je voulais mêler aux habitués de Cinéma du Réel. Il y a une continuité de la ligne éditoriale à travers les quatre compétitions (internationale, française, premiers films, courts métrages) avec également beaucoup de moyens métrages cette année car c’est une forme très vivace aujourd’hui et c’est important de trouver une place pour ces films qui dépassent les frontières des catégories. Nous avons aussi initié une publication anniversaire, intitulée Qu’est-ce que le réel ?, dans laquelle nous avons demandé à plus de 40 réalisateurs, penseurs et critiques d’aborder la question la réel non seulement dans le cinéma, mais aussi dans le monde d’aujourd’hui. Une section a été programmée en lien avec cette publication et nous avons demandé à des réalisateurs de présenter des films très importants pour eux qui sont passés par le Réel. Et j’ai aussi organisé une exposition avec un artiste américain, Lyle Ashton Harris, qui travaille la notion des archives personnelles et politiques. 

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Sur quels critères avez-vous sélectionné les films composant la compétition internationale ?
Je voulais voir des gestes esthétiques forts. Pour moi, la richesse des formes documentaires aujourd’hui, c’est ce qui ne se catégorise pas. Et la forme et le contenu doivent aller ensemble. Tous les films en compétition cette année offrent des propositions cinématographiques, en plus d’avoir des propositions politiques, personnelles, au niveau du contenu. Les thématiques qui reviennent le plus sont celles des cycles de violence (comme dans The Waldheim Waltz [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Ruth Beckermann
fiche film
]
 de Ruth Beckermann), des inquiétudes pour l’environnement (avec l’agriculture et surtout les forêts), de l’instabilité de certains gouvernements, des traditions en voie de disparition, des relations familiales comme lieu de confort mais aussi d’aliénation, et de la représentation de soi.

Quelle est votre position sur la bataille que peuvent se livrer les festivals pour dévoiler les œuvres ?
Nous avons beaucoup de premières mondiales et internationales, mais je ne voulais pas dire non à des films présentés à Berlin il y a quelques semaines. Ce sont des films très forts et il est important de les montrer dans un festival aussi cinéphile que le Réel avec un public local très important, donc des spectateurs qui ne participent pas au circuit des festivals. Pour protéger le statut du festival, il faut des premières et il y a des enjeux, mais c’est surtout une question d’équilibre et je ne veux pas refuser un film très fort qui marquera l’histoire du cinéma parce que ce n’est pas une première.

Que pensez-vous du discours actuel sur la frontière qui serait de plus en plus poreuse entre documentaire et fiction ?
Je pense que cette proposition d’hybridité existe depuis l’origine du cinéma. Certains réalisateurs défendent le cinéma direct, d’autres insistent sur la nécessité d’observer la réalité avec un côté journalistique, surtout dans la période “post-truth“ qui nous a donné Trump et autres, avec la complicité des médias. Ce à quoi d’autres documentaristes, y compris des très grands, rétorquent que ce ne sont que des constructions, une fois qu’on impose un cadre ou que les gens sont conscients du cinéma, même dans des films de Frederick Wiseman. C’est un débat qui existe depuis 100 ans déjà. Nous, à Cinéma du Réel, nous voulons donner une place prioritaire au documentaire, mais être ouvert à ce dialogue entre fiction et réalité. Et c’est pour cette raison que nous allons projeter en avant-première française Zama [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Lucrecia Martel
fiche film
]
 de Lucrecia Martel, un film historique, une adaptation littéraire, mais aussi une œuvre très importante sur les catastrophes postcoloniales en Amérique Latine, donc une réalité à la base mais qu’elle aborde par l’artifice. C’est aussi un dialogue avec un film portrait sur Lucrecia Martel réalisé par le jeune documentariste argentin Manuel Abramovich avec une mise en abyme entre sa relation à son propre documentaire et son observation de quelqu’un en train de créer de la fiction. Si c’est le moment de célébrer les documentaristes, il faut aussi être ouvert à des propositions, comme l’est le film d’ouverture du festival, La Telenovela Errante (The Wandering Soap Opera) que Raoul Ruiz a tourné au Chili après son exil en France et que Valeria Sarmiento a terminé l’an passé avec des éléments documentaires de Ruiz en train de tourner ce film. C’était une proposition parfaite pour le 40e anniversaire de Cinéma du Réel où Raoul Ruiz a présenté beaucoup de films, avec cette fois un film de fiction mais qui traite de la réalité. C’est une manière de dire oui à des films hybrides qui parlent de la réalité, donc du réel, mais d’une autre façon : l’imagination ne peut pas être mise dans des catégories. 

Que peut changer votre profil nord-américain pour la direction artistique d’un festival européen comme Cinéma du Réel ?
Il y a des différentes culturelles inévitables, même si j’ai déjà travaillé avec le Centre Pompidou, avec le Jeu de Paume, avec la Cinémathèque Française quand j’étais à la Cinémathèque de Toronto, et avec plusieurs institutions à Vienne. Je connais bien le milieu européen et je suis très francophile. En Amérique du Nord, on trouvait que j’avais un regard européen et ici, c’est l’inverse (rires). Mais c’est vrai que j’ai tenu à inviter davantage d’étrangers pour ParisDoc, les journées professionnelles de Cinéma du Réel. Le côté industrie est très important, tout particulièrement pour les questions cruciales du financement, les obstacles, les défis, mais aussi la solidarité, la communauté. 

Quid de la diffusion des documentaires avec la montée en régime des plateformes spécialisées ?
Elles ouvrent des voies nouvelles. C’est aussi très important pour les gens qui ne vivent pas dans les grandes villes. Mais cela l’est tout autant de voir des films en salles avec des distributeurs qui soutiennent vraiment le documentaire. Les salles, les circuits des festivals, des musées et des cinémathèques, les universités, les plateformes : tout cela rend la cinéphilie plus riche.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy