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ODESSA 2018

Sergei Loznitsa • Réalisteur de Donbass

“On est en train d'infantiliser notre société"

par 

- Nous avons rencontré, à Odessa, le prolifique réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa, qui présentait Donbass ­dans la section Festival of Festivals

Sergei Loznitsa  • Réalisteur de Donbass

Après son avant-première mondiale à Cannes en tant que film d'ouverture de la section Un Certain Regard, sélection qui a valu à Sergeï Loznitsa le prix de la mise en scène, le réalisateur ukrainien vient de présenter son dernier film, Donbass [+lire aussi :
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, dans la section Festival of Festivals du Festival international du film d'Odessa. Cette œuvre parcourt de nombreuses facettes, souvent absurdes, de la guerre civile à l'est de l'Ukraine. Inspirée de faits réels, divisée en 13 segments, elle combine le tragique et le grotesque pour se plonger tête baissée dans l'absurdité de la guerre.

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Cineuropa : La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, vous disiez que le mal se répète continuellement. Ce sujet est également évoqué dans Donbass.
Sergei Loznitsa :
La métaphore est simple. Quand on commence à jouer avec le mal, on ne se dit jamais qu'on pourrait en être la victime. Les gens qui ont soutenu la Grande Terreur de Staline ont créé un mensonge dont ils sont devenus ensuite les victimes également. Guenrikh Iagoda, qui a été à la tête du NKVD, ou encore Nikolaï Krylenko, membre du premier Conseil des commissaires du peuple, ont fini qualifiés de fascistes-terroristes et exécutés alors qu'avant, c'était eux qui condamnaient les gens à mort pour exactement la même raison.

Mon dernier documentaire en date, Victory Day [+lire aussi :
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, montrait les célébrations du 9 mai au Parc de Treptow de Berlin (un jour qui marque, selon les historiens soviétiques, la victoire de l'URSS sur l'Allemagne). Bizarrement, ils oublient de mentionner les efforts des forces alliés et leur contribution à la défaite d'Hitler. Sur les murs du mémorial, dans le parc, on peut lire des citations de Staline. Pour ma part, je trouve ça tout aussi hallucinant et indécent que d'apposer des extraits de Mein Kampf sur les murs des bâtiments de Berlin. En Russie, la mythologie staliniste fait un grand retour, et Staline est de nouveau présenté à la jeune génération comme un des grands leaders du pays et un "gestionnaire efficace". Pour moi, si ceci est en train de se passer, c'est parce qu'on n'a jamais fait le procès du communisme. On aurait eu grand besoin d'un "Procès de Nuremberg" sur le communisme. À moins d'organiser un procès de cet ordre, et de condamner ce dogme et les pratiques qui s'y rattachent comme criminelles et situées du côté du mal, le monstre totalitaire va continuer de revenir, encore et encore, comme un phénix renaissant de ses cendres. C'est un cercle vicieux, alors que je voulais faire un film qui avertisse les gens de ce danger.

C'est un avertissement très direct, surtout venant de vous. Pourtant avez-vous décidé de formuler les choses aussi clairement, cette fois ?
Il y a aussi beaucoup de choses cachées entre les lignes, mais certains problèmes demandent à être énoncés ouvertement. Tous les épisodes sont inspirés de faits réels, je me suis contenté de légèrement les transformer. J'ai trouvé la plupart des épisodes sur YouTube. L'un d'entre eux, celui du journaliste allemand avec son compagnon ukrainien, son “fixeur” et son photographe, je l'ai tourné avec le même fixeur. Au début, je lui ai demandé de me raconter cette expérience, et j'ai écrit une scène à partir de son récit. Après, au moment du casting, je me suis rendu compte qu'il fallait qu'il "joue" son propre rôle dans le film. Il était très important pour lui que les choses soient aussi authentiques que possible. On pourrait se dire que tout cela est le produit de mon imagination, mais ce n'est pas le cas. Beaucoup de choses dans la vie sont comme ça : elles semblent étranges et impossibles et pourtant, voilà qu'elles arrivent pour de vrai. Prenez la Coupe du Monde, par exemple : après tout ce qui s'est passé, après tous les crimes commis par le pouvoir russe (la guerre en Ukraine, l'occupation, l'annexation de la Crimée), tout le monde a décidé d'ignorer tout cela et de venir en Russie pour jouer au foot. Mon impression est qu'on est en train d'infantiliser notre société.

Cela donne lieu à l'humour souvent absurde qui est très présent dans le film.
Je pense qu'ici, en Ukraine, la réaction des gens a été très différente de celle qu'ont eu les spectateurs à Cannes. Là-bas, les gens ont eu plus peur de ce qu'ils ont vu dans le film, et donc ils n'ont pas osé rire. Ici, les gens ont davantage pu se rapporter au film, comprendre chaque contexte. Le film trouve ses racines, entre autres, dans la tradition littéraire russe. Prenez Boulgakov ou Les âmes mortes de Gogol. Des âmes qui seraient mortes ? C'est drôle. Nous avons cette façon particulière de décrire le mal parce que si on y met de l'humour, ça le rend moins effrayant. La littérature peut créer ce genre de protection et dans une certaine mesure, le cinéma aussi. Bien sûr, les gens ont été choqués par certains épisodes, mais ils sont tombés amoureux des autres, surtout que je montre quelque chose qu'ils ne connaissent que trop bien. Quand on a un bout de métal extrêmement chaud, il faut l'attraper avec quelque chose d'autre : un bras artificiel, par exemple. L'humour et l'ironie dont j'use dans le film sont des outils nécessaires, qui permettent au spectateur de se confronter à certains sujets très lourds.

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(Traduit de l'anglais)

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