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Virgil Vernier • Réalisateur

"Le réel prend parfois des dimensions très bizarres"

par 

- Virgil Vernier décrypte Sophia Antipolis, son second long métrage, un film envoûtant dévoilé à Locarno et lancé en France par Shellac

Virgil Vernier • Réalisateur
(© Thomas Smith)

Sur la lancée de ses courts et moyens métrages (Thermidor à la Quinzaine des Réalisateurs 2009, Pandore nominé au César 2012, Orléans [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
àLocarno en 2012), Virgil Vernier avait opéré des débuts très remarqué dans le long avec Mercuriales [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
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(sélection de l'ACID à Cannes en 2014 et nominé au prix Louis-Delluc du meilleur premier film). Le réalisateur français fait plus que confirmer avec l’excellent et envoûtant Sophia Antipolis [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Virgil Vernier
fiche film
]
, dévoilé l’été dernier à Locarno (à Cinéastes du Présent) et distribué dans l’Hexagone le 31 octobre par Shellac.

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Cineuropa : Comme beaucoup de vos films précédents, Sophia Antipolis évoque un lieu bien précis tout en invoquant quelque chose de plus vaste.
Virgil Vernier
: Cen’est pas tant la ville que les échos poétiques et l’imaginaire que cela ouvre qui m’attirent. Sophia Antipolis convoque de l’archaïque, comme une sorte de cité grecque mythique qui n’aurait jamais existé, une civilisation perdue, parce tout le monde a déjà entendu ce nom, mais personne n’est jamais allé là-bas. Choisir comme décor un lieu qui s’appelle comme ça permettait aussi des jeux de mots sur "anti polis" : contre la ville et contre la police même parce que le film raconte, entre autres, l’histoire de deux agents de sécurité.

Il y avait déjà des agents de sécurité dans Mercuriales.
Cela m’intéresse parce que c’est ce quireprésente le mieux le monde contemporain. On les croise partout, dans tous les lieux du capitalisme et de l’urbain, mais en même temps, ce sont comme des meubles : personne ne leur prête attention, on ne leur donne pas une valeur humaine car ils sont considérés à la limite comme des robots ou des caméras de vidéo-surveillance. Ce sont surtout les agents de sécurité de nuit qui me fascinent, des sortes de sentinelles qui rôdent et règnent sur la ville pendant que nous dormons, comme autrefois les gardiens de châteaux forts.

Ce qui vous intéresse, c’est de mettre en lumière les anonymes ?
Tout ce que je fais est lié à cela. Le projet du film,c’est de donner aux choses anonymes, considérées comme inintéressantes, laides, en périphérie de la ville, celles qu’on ne veut pas montrer, leur donner une grande valeur, les anoblir, les transformer avec la caméra, avec l’utilisation du 16 mm, en personnages mythiques, un peu iconiques. Et c’est pareil pour le paysage : en faire des décors qui seraient sortis d’une tragédie grecque ou un lieu où il se passerait quelque chose de symbolique, d’intemporel.

Le film flirte avec le non-narratif avec un scénario néanmoins très sophistiqué ? Comme développez-vous une intrigue pour ne pas verser dans le documentaire ?
Cela m’intéresse plus de montrer le charme de certaines personnes, le mystère étrange de certains lieux, que de raconter une histoire. Je n’ai pas de grande histoire à raconter et cela ne m’intéresse pas de raconter une histoire comme on la lirait à un enfant pour l’endormir, comme pour faire diversion. J’ai envie de montrer des choses crues, mais qui soient liées entre elles, car on ne peut pas faire simplement un film qui serait une succession de portraits déconnectés les uns des autres. C’est plus fort si, à l’intérieur de ce travail de présentation de personnages, on peut tisser des liens secrets, retrouver des motifs récurrents qui se passent entre les choses et les gens. Dans Mercuriales, c’était plus simple parce que j’avais deux actrices comme fil conducteur. Dans Sophia Antipolis, j’avais envie de montrer que tous ces gens ont non seulement en commun une ville, ce territoire où ils vivent, mais aussi la recherche d’une communauté. Ils sont si seuls, si paumés dans le monde actuel qui est tellement confus quand on n’est pas éduqué, quand on n’a pas tous les moyens pour s’en sortir, qu’ils peuvent parfois se tromper de communauté, de combat. On peut devenir facilement fasciste pour peu qu’on ne soit pas très cultivé ou qu’on n’ait pas une solide éducation morale. Et on peut se faire avoir par des sectes, par des gens qui abusent de vous. J’avais envie de montrer des gens qui ne soient pas ridicules en se trompant, avec le côté tragique, mais aussi tragicomique, parce que tout n’est pas aussi sombre et violent qu’il n’y paraît dans le film.

Les lieux symbolisent très fortement le vide contemporain.
J’ai choisi Sophia Antipolis car, comme à Los Angeles, c’est une ville qui n’est pas faite pour les piétons. Tout est en circulation par voiture, tout est trop grand, avec des architectures fascistes comme quand on devait impressionner avec des cathédrales trop grandes, pour que les gens se sentent petits et du coup soumis. Ce sont des lieux vides où l’on ne se sent pas à échelle humaine et c’est d’autant plus criant par rapport au besoin de trouver de la chaleur humaine, de se retrouver les uns les autres. En même temps, on est au soleil. J’adore cette contradiction entre cette inhumanité, cette froideur, et le fait que ce soit sous le soleil, le cliché des cartes postales de la Côte d’Azur qui voudrait faire croire que tout le monde se la coule douce, qu’il y a une jeunesse éternelle, un farniente ludique.

Le film est à la fois hyper réaliste et comme une sorte de rêve éveillé, un peu flottant.
Quand un homme hypnotisé se transforme dans le film en une véritable barre de fer, c’est carrément fou, irréel. Mais tout est vrai, j’ai demandé à un vrai hypnotiseur d’opérer. Il n’y a pas besoin, comme dans les films américains, de faire des trucages, des effets de style : le réel prend parfois des dimensions très bizarres. Des rencontres entre des images inattendues peuvent aussi créer une impression surréelle. Et tout ce qui est le plus réel, des bureaux vides par exemple, ce qui est ennuyeux et sans aucune poésie, j’essaye d’en tirer toute la poésie bizarre qu’il peut y avoir, grâce à la pellicule et au fait de filmer de loin. Mais ce n’est pas le monde du travail du tertiaire qui m’intéresse, mais plus la question : et si on trouvait un cadavre de jeune fille dans un bureau vide ?

Quid des changements de tonalité assez brusques ?
J’aime bien qu’un film soit un long rêve éveillé, qu’on ne soit pas vraiment sûr de ce qu’on a vu, de ce qu’on a entendu, qu’on se demande si on l’a inventé. Mais j’aime aussi les changements de tons parce qu’on peut tout mettre dans un film : des dessins, des inserts sur des articles de journaux, des moments où l’on se contente de filmer un bout de rue de façon quasi documentaire, sans fiction, sans rien, juste parce que ce lieu rappelle quelque chose qui a été dit ailleurs dans le film, d’autres moments plus film noir où une sorte de milice débarque chez un pédophile ou brûle les tentes d’un camp de migrants et d’un seul coup, ça, c’est très concret… Tout vient de la même sève. Le pur imaginaire sans réalisme, je n’aimerai pas cela car j’ai besoin d’un fil très concret.

Pourquoi choisissez-vous toujours des comédiens très peu connus ou des non-professionnels ? Pourriez-vous tourner avec des visages célèbres ?
Mon projet depuis le début, c’est de sortir des choses de l’ombre. Si on me dit par exemple, Marion Cotillard, tu peux la réinventer avec ton style, j’aurais beau me creuser la tête, je dirai non car en tant que spectateur, je n’arrive plus à croire qu’elle est une ouvrière de chez Peugeot, parce que je la connais, c’est comme ça… Et une part du charme du cinéma qui est de croire en les images s’effondre. C’est un peu mégalo de ma part, mais j’ai vraiment envie que chaque film soit une réinvention de tout, qu’il n’y ait aucune référence à d’autres films, à de littérature ou à quoi que ce soit d’autre. Cela nait ici et maintenant.

Pourquoi tourner en Super 16 ?
D’abord à cause de l’alchimie avec la pellicule : ses couleurs chatoyantes et sa beauté organique permettent de donner une noblesse et une aura quand on filme quelque chose de dérisoire et de trivial, ce qui est impossible avec le numérique. Et il y a aussi dans Sophia Antipolis un rapport particulier au soleil qui permettait d’arriver à la fin du film à un moment où il brûle la pellicule elle-même qui prend feu et disparait.

Comment votre approche du cinéma réussit-elle à s’insérer dans les circuits actuels des financements de la production ?
Moins on a de partenaires financiers, moins il y a d’argent sur un film, plus on est libre, parce qu’on n’a pas à répondre auprès des partenaires financiers de leurs exigences et de leurs caprices. Parfois, ils pensent avoir de bonnes idées, mais ils peuvent se tromper sur ce qu’ils croient être le public, ce qui plaît, etc. Ils pensent comme il y a dix ou vingt ans. Jusqu’ici, j’ai eu la chance de ne pas avoir cette pression et je ne pense pas que je serai capable de travailler avec des très grosses sociétés de production, ni d’ailleurs qu’ils seraient attirés à priori par mon genre de films. Je suis assez admiratif de cinéastes du passé qui n’ont pas cherché à sacrifier sur l’autel du commerce, comme Rohmer par exemple. Je ne cherche pas à rivaliser avec des jeunes cools qui marchent bien, à rentrer dans l’arène du combat du box-office.

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