email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

GÖTEBORG 2020

David Aronowitsch • Réalisateur d'Idomeni

"J'essayais de faire un film politique en faisant un film non-politique"

par 

- Nous avons rencontré David Aronowitsch, le réalisateur d'Idomeni, en lice pour le Dragon dans la section Documentaires nordiques de Göteborg

David Aronowitsch  • Réalisateur d'Idomeni

Idomeni [+lire aussi :
interview : David Aronowitsch
fiche film
]
de David Aronowitsch, dont la première mondiale a eu lieu au Festival international du film de Göteborg, raconte l'histoire de deux familles yézidies fuyant la violence de l'Etat islamique. Cependant, comme on pouvait s'y attendre, il s'avère que fuir le pays ne garantit pas la sécurité, ni même des conditions de vie convenables, et les journées des personnages se passent à attendre que quelque chose change. Nous avons interrogé le réalisateur sur son film.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Cineuropa : Vous montrez des moments très intimes, en vous concentrant clairement sur l'expérience individuelle. Qu'est-ce qui vous a mené vers ces personnes et leurs histoires ?
David Aronowitsch :
Ces familles nous ont acceptés presque dès le début. Cela va vous sembler cliché, mais j'ai vraiment eu le sentiment que c'est eux qui nous ont choisis autant que l'inverse. Bien sûr, établir la confiance et s'habituer à la caméra est un processus long, mais c'était assez magique, à vrai dire. Ils ont traversé beaucoup de choses. Ils ont vu des familles détruites par Daesh et eux-mêmes l'ont personnellement vécu. Prenez Yasir par exemple : sa femme Khalida a été emprisonnée et son enfant a été tué. Le monde doit en savoir plus sur cette attaque brutale à l'encontre de la population yézidie, et sur la situation de ces gens dans les camps de réfugiés, en Turquie comme en Grèce [à côté du village d'Idomeni]. Ils vivent dans des conditions affreuses et n'ont aucun moyen d'avancer et passer à autre chose. Au début, il y a eu des manifestations contre la fermeture de la frontière, et tous les plus grands médias ont couvert l'événement. On avait l'impression qu'il y avait de l'espoir. Et puis tout le monde est parti, la chose a cessé d'être une "actualité". Je suppose qu'ils ont senti qu'il était important de faire ce film. Nous n'avons même pas eu besoin d'en discuter beaucoup.

Beaucoup de choses ont été dites sur le sort réservé aux femmes capturées par Daesh, mais vous avez choisi de ne pas partager trop de détails. Pourquoi ? Par respect pour cette famille ?
Je ne voulais pas les accabler. Quand ils se sont retrouvés, quatre ans après la capture de Khalida, nous étions là – à l'endroit précis où ils se sont retrouvés, à l'aéroport. Par ailleurs, ce n'est pas vraiment la "personnalité" du film. Il n'y a qu'une seule interview dans le film. Je ne sais pas tout ce qu'elle a traversé ; je sais certaines choses, et peut-être qu'un jour je souhaiterai en parler avec elle. Donc oui, c'était une décision très consciente. Une décision humaine, je dirais. Ça a été un moment inondé de bonheur, quand il se sont retrouvés, mais aussi un moment très dur. Je pense qu'on le perçoit dans le film.

C'est aussi un peu absurde de voir la famille l'accueillir avec des fleurs, comme si elle rentrait de voyage. Personne ne sait bien comment réagir.
Impossible de savoir comment réagir. Ils ont déployé tant d'efforts pour que cela arrive, sans jamais cesser d'espérer, et quand ça arrive enfin, il faut juste un peu de temps pour s'y faire, vous voyez ? À maintes reprises, pendant qu'on faisait le film, un moment heureux s'est trouvé immédiatement suivi par un événement tragique. Le fait est que nous parlons de milliers de personnes qui sont encore obligées à ce jour de vivre dans des circonstances vraiment horribles. J'ai fait d'autres films sur ce sujet, selon différentes perspectives, cela fait des années que j'explore la question. Par le passé, je m'intéressais avant tout aux institutions et aux structures, mais au fil du temps, mon regard s'est tourné vers les gens. C'était une étape naturelle. J'essayais de faire un film politique en faisant un film non-politique. Et donc, petit à petit, on apprend à connaitre les gens qui sont victimes de génocides, mais aussi du système de traitement des migrants.

Il y a une scène où vous êtes assis à côté de Yasir, au lieu de le regarder droit dans les yeux. Votre approche de metteur en scène a-t-elle changé quand vous avez commencé à vous rapprocher d'eux ?
C'était une lourde décision que celle d'inclure cette interview en particulier, et ainsi de briser l'approche de la caméra "comme une mouche sur le mur" (même si je n'aime pas trop cette expression), mais c'est aussi un peu stupide de faire comme si la caméra n'était pas là. Je ne voulais pas être limité par la forme, et il était nécessaire d'obtenir cette information, d'entendre comment ils ont perdu leur enfant d'un an. Quand on fait des documentaires, tout tourne autour de l'information : quelle quantité d'informations vous avez et comment vous les transmettez au spectateur – voire quelle part vous pouvez laisser de côté. Je voulais simplement en savoir plus. Pas en tant que réalisateur, mais en tant que moi, David. La même chose vaut pour Nadia et Nawaf [l'autre famille]. Yasir est une personne sensible, un homme qui écrit de la poésie romantique, mais parfois, il faisait l'effet d'être un peu dur. Cette scène est une porte d'entrée pour accéder à ce personnage. J'ai dû la regarder une centaine de fois, et à chaque fois j'en ai encore la gorge nouée.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais par Alexandre Rousset)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy