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BERLINALE 2020 Panorama

Guillaume Brac • Réalisateur de À l’abordage

"Les questions politiques et sociales passent en contrebande, derrière un écran de légèreté et de comédie"

par 

- BERLINALE 2020 : Le réalisateur français Guillaume Brac revient sur la genèse de son réjouissant À l’abordage, dévoilé au Panorama

Guillaume Brac • Réalisateur de À l’abordage

Révélé avec Tonnerre [+lire aussi :
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(compétition à Locarno en 2013), puis apprécié avec Contes de juillet [+lire aussi :
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(hors compétition à Locarno en 2017) et le documentaire L’Île au trésor [+lire aussi :
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(compétition à Karlovy Vary en 2018), le cinéaste français Guillaume Brac revient avec le divertissant, intelligent et rafraichissant À l’abordage [+lire aussi :
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, découvert au Panorama de la 70e Berlinale. Une production Geko Films vendu à l’international par The Party Film Sales.

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Cineuropa : Quelle thématique principale souhaitiez-vous traiter dans À l’abordage ?
Guillaume Brac : Comme dans presque tous mes films, il y a comme porte d’entrée une espèce de paravent d’intrigue sentimentale, de désir, d’amour contrarié. Mais au fond, ce qui m’intéressait, c’étaient plutôt les rapports entre des jeunesses différentes, des mondes sociaux et culturels différents. Ces quelques jours d’été, à la suite d’accidents de parcours, rassemblent des jeunes gens qui n’auraient probablement jamais dû se connaître, et qui réussissent finalement (en tout cas en ce qui concerne le trio de garçons) à nouer une relation de camaraderie et presque d’amitié.

Quels milieux sociaux vouliez-vous représenter ?
Il y a d’abord ceux qui travaillent, Félix et Chérif, l’un dans l’aide à la personne comme une sorte d’infirmier, l’autre comme manutentionnaire dans un supermarché. Je voulais plonger dans une France des vacances ces deux jeunes gens dont on pressent qu’ils ne partent pas souvent en vacances, qu’ils n’ont pas cette culture des vacances. Plus largement, il d’agissait aussi de plonger ces deux jeunes gens noirs dans un univers et dans un cinéma qui ne les accueillent pas si facilement que ça. Un cinéma presque post-Rohmer, post-Rozier, en tous cas post-Nouvelle Vague où la question raciale n’est pas du tout centrale dans le récit, mais où elle infuse pourtant les rapports entre les personnages. C’est cet équilibre subtil que j’ai essayé de trouver avec les comédiens, en sachant que Je n’ai pas écrit les rôles, puis fait un casting : j’ai rencontré les comédiens, puis j’ai écrit pour eux. Tout est parti d’une sorte de commande de la directrice du Conservatoire national d’art dramatique de Paris : écrire pour une promotion de jeunes comédiens. Quand je les ai rencontrés, j’en ai choisi une douzaine parmi trente, et j’ai été frappé par le fait que cette promotion était presque une photographie de la société française et le reflet d’une diversité qui n’existait pas forcément avant dans ce type d’école, avec ce que cela pouvait avoir de très beau et très réconfortant et aussi les problèmes que cela pouvait susciter au sein de cette promotion. Très vite, j’ai eu envie que le film raconte aussi cela.

Sans être un documentaire, le film a une sorte de substrat documentaire.
Ma première rencontre avec ces jeunes comédiens a consisté en des discussions individuelles d’une ou deux heures sur des sujets très personnels : leurs parcours, leurs enfances, leurs frustrations, leur rêves, etc. Les personnages sont nés de ces échanges qui ont éveillé mon imaginaire. Par exemple, au premier rendez-vous, Éric Nantchouang qui joue Félix dans le film, m’a dit : "mon rêve serait de jouer un jour Werther dans Les souffrances du jeune Werther, j’adorerais jouer un amoureux transi, mais je sais très bien qu’on me fera toujours jouer les vigiles ou les dealers." En caricaturant un peu, voilà ce qu’il pensait que le cinéma français avait à lui offrir. La question sociale et raciale n’est cependant pas gommée par le film, ce qui a fait l’objet de discussions avec les deux comédiens noirs du film car c’était quelque chose qu’ils n’acceptaient pas si facilement au début. Alors que justement je trouvais qu’on s’éloignait de beaucoup de clichés et que je les plongeais dans un univers où des comédiens comme eux ont rarement place, ils avaient quand même cette interrogation : pourquoi on parle de notre couleur de peau ? Pourquoi ces personnages ne seraient-ils pas comme les autres ? Pour moi, à la fois ce n’était pas un sujet, mais ce n’était pas anodin non plus que ces deux copains dont on devine qu’ils ont grandi dans des banlieues parisiennes très populaires se retrouvent au contact de ces jeunes filles là, et de cet Édouard qui est de toute évidence un fils à papa-maman de milieu aisé. Pour moi, cela faisait partie du projet et ils ont mis un peu de temps à l’accepter. Par ailleurs, il y avait aussi le fait que ce sont tous de jeunes comédiens, très peu expérimentés au cinéma, donc aller vers des rôles de très grande composition, je pense que ce n’était pas forcément un service à leur rendre. Il fallait s’appuyer sur leur jeunesse, leur énergie, leur langage, leurs codes, etc.

De la comédie, presque du burlesque, du réalisme social, du sentimental : le mélange des genres est-il facile à doser ?
J’essaye presque à chaque film de trouver cet équilibre qui me passionne entre le rire et des choses plus grinçantes, plus violentes éventuellement. Ce film est celui dans lequel je vais le plus franchement dans la comédie. Les situations peuvent être cocasses avec des incompréhensions, voire burlesques, mais il y a des moments plus douloureux, notamment pour le personnage de Félix, et une forme de mélancolie qui traverse tout le film. Dans la confrontation de cet Édouard blondinet, en bermuda, un peu rigide, avec ces deux types qui l’embobinent un peu, il y avait tout de suite un antagonisme de classe assez réjouissant, mais par moments assez grinçant. Car Félix a des mots assez durs en disant qu’il ne supporte la tête d’enfant de chœur d’Édouard et à l’inverse, Édouard parle de gens mal éduqués. C’est très violent, en fait. Ce qui m’intéressait, c’était que la rencontre de ces trois garçons provoquait des situations très drôles et mettait aussi en évidence la difficulté pour ces mondes de se rencontrer et de cohabiter harmonieusement. Tout l’enjeu du film était cette espèce de plaisir qu’on finit par prendre à être ensemble qui passe d’abord par Édouard et Chérif, deux galériens chacun dans leur genre, puis progressivement par Félix.

La légèreté, c’est le moyen idéal d’aborder des questions sérieuses ?
C’est comme une forme de politesse. La frontalité peut me plaire chez certains cinéastes comme Gérard Blain ou Robert Bresson, mais pour mes films, j’ai besoin que les questions politiques et sociales passent en contrebande, derrière un écran de légèreté et de comédie.

L’été semble votre saison de prédilection ?
J’aime beaucoup filmer des personnes en vacances. Et pour ce projet modeste avec de jeunes acteurs de théâtre, j’avais envie de les plonger dans des lieux très vivant, de pouvoir tourner à l’air libre, filmer leurs corps avec évidemment les baignades et les activités physiques.

Quelles étaient vos intentions principales de mise en scène ?
Faire exister au maximum les lieux et les moments de la journée. Le film se déroule sur quatre journées, et on sent vraiment les après-midi qui finissent, la nuit qui tombe, les soirées, etc. Quant à la durée des scènes, il y a beaucoup de blocs et de plans séquences. Comme il y a de multiples scènes à deux ou trois personnages et parfois plus, j’ai essayé de m’appuyer sur l’énergie et la complicité de ces jeunes comédiens. Certains, comme Félix et Chérifs, étaient déjà amis dans la vie, donc il y avait un vrai plaisir à les faire jouer ensemble dans des séquences qui durent un peu, qui peuvent rebondir, avec toute une part d’improvisation. Car il n’y avait pas de scénario à proprement parler, juste un traitement dialogué. Certaines scènes étaient écrites, d’autres avaient juste des indications d’action et de situations, mais pas forcément de dialogues. Donc le fait de tourner en plan séquence permettait de déployer les scènes. J’avais aussi ce désir de capter comme des tableaux d’été, donc de travailler plutôt avec une caméra sur pied, soit en plan fixe, soit avec beaucoup de plans en panoramique pour découvrir l’espace et les personnages, mais avec quelque chose d’assez précis dans les mouvements et les déplacements de caméra.

Quid du financement télévisuel ?
Ce film, je l’ai toujours pensé comme un film de cinéma, mais je l’ai fait pour Arte, donc pour la télévision. A aucun moment, cela n’a eu le moindre impact sur ma mise en scène : il n’y a quasiment pas de gros plans dans le film. Comme je savais que j’allais écrire sur le moment et qu’il n’y aurait jamais de vrai scénario, je me suis dit que le financement cinéma allait être complexe et qu’il fallait mieux qu’une chaîne comme Arte s’engage très tôt dans le projet et apporte l’essentiel du financement, pour qu’après je puisse travailler plus sereinement. Cela me paraissait pertinent de le faire avec Arte qui avait des précédents de films très beaux sur la jeunesse comme Les roseaux sauvages d’André Téchiné, Le péril jeune de Cédric Klapisch, Travolta et moi de Patricia Mazuy. Cela me plaisait de m’inscrire dans cette lignée.

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