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BERLINALE 2020 Berlinale Special

Oleg Sentsov • Réalisateur de Numbers

"Quand on est capable de renverser le vieux régime, ça ne veut pas nécessairement dire qu'on va être capable d'en bâtir un meilleur"

par 

- BERLINALE 2020: Le cinéaste ukrainien Oleh Sentsov, qui a fait son nouveau film, Numbers, pendant qu'il était en prison, nous a parlé de cette réalisation à distance et de son amour du cinéma

Oleg Sentsov  • Réalisateur de Numbers
(© East News)

C’est une expérience un peu surréaliste et intimidante que de rencontrer Oleh Sentsov, qui était présent au 70e Festival de Berlin pour dévoiler Numbers [+lire aussi :
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fiche film
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, un récit sombre et dystopique sur un régime totalitaire qui fait parfaitement écho au sentiment d’anxiété qui plane en ce moment sur le monde. Pendant des années, il a été détenu dans ce qu’on ne peut que décrire comme un "goulag", et tout ce que pouvions faire était appeler à sa libération pendant les festivals et suivre sa bouleversante détention à travers les réseaux sociaux.

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Sentsov est grand, son expression est calme et sa poignée de main ferme. Être à côté de lui donne l’impression d’être à côté d’un pilier de béton supportant un bâtiment ou un pont. Peut-être que c’est le fait d’être si près du Mur de Berlin démoli qui génère ce sentiment, peut-être que c’est quelque chose d’autre... Sentsov sourit quand on lui annonce qu’on va l'interroger sur son film : "Formidable, parce que la plupart des questions qu'on m'adresse sont politiques". Il rit quand on lui demande si ne pas être présent sur le tournage devrait à son avis être plus fréquent pour les réalisateurs, si cela aboutit à un résultat aussi excellent. "Je ne recommanderais pas un telle approche", répond-il. Quand on revient du cœur des ténèbres, on ne craint apparemment pas l’humour noir.

Cineuropa : Compte tenu du sujet du film – qui décrit un groupe de gens vivant sous un régime tyrannique –, on pourrait penser que vous avez écrit Numbers en prison, mais ce n’est pas le cas. Avez-vous toutefois été inspiré de quelque manière que ce soit par ce qui se passait en Ukraine, ou ce que vous anticipiez qui pourrait vous arriver ?
Oleh Sentsov :
La pièce a été écrite en 2011, trois ans avant les événements de Maidan [la révolution ukrainienne qui a conduit au renversement du gouvernement]. Peut-être que c’était une sorte de prémonition, mais je n'avais aucun moyen de savoir ce qui m’arriverait à moi. Quoi qu’il en soit, ce scénario représente ce que je pensais à l’époque sur la nécessité de s’élever contre l’injustice que je voyais autour de moi.

Avez-vous changé quoi que ce soit au scénario pendant votre emprisonnement ?
Non.

Vous avez écrit Numbers comme une pièce de théâtre, et c’est littéralement visible dans le film : l’action se passe sur une scène, avec des décors minimalistes. Comment avez-vous eu l'idée de ce style ?
J’avais une très bonne équipe et un très bon chef)décorateur. Tous les décors et les accessoires ont été développés sur une année, pendant laquelle [mon équipe et moi] avons échangé de nombreuses lettres. J’ai reçu beaucoup de croquis ; j'ai vu 15 ou 20 différentes versions des accessoires, des costumes et des décors, donc j’ai pu contrôler tous les aspects visuels et les approuver. Je voulais faire un film qui ressemble à une pièce, au niveau du style.

Pourquoi ?
La forme suit toujours le contenu, or ce sujet en particulier requérait la forme d’une pièce de théâtre. C’est pour cela que je n’ai pas écrit le scénario en pensant à un film dès le départ, bien que le cinéma soit le médium qui m'est le plus cher. J’ai écrit cinq scénarios qui n’ont pas été transformés en films. Je les ai en réserve, car je veux vraiment les mettre en scène un jour.

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
Ce n’est pas une question pour moi, parce que pendant le tournage, j’étais en prison. Mon co-réalisateur, Akhtem Seitablaev, a fait tout le travail avec les acteurs. Mais au moment du casting, j’ai confirmé le choix de chaque comédien. Mon directeur de casting et Akhtem avaient travaillé avec moi avant, donc ils savaient quel résultat je voulais. Ils m’ont envoyé des photos des acteurs et du matériel pour les costumes, pour que je puisse vérifier s’ils avaient l’allure que j’attendais. Ça a été la partie la plus difficile, parce que je ne pouvais pas voir d’extraits [vidéo] du travail de mes comédiens. Mais d’un autre côté, je savais que je pouvais faire confiance à mes collaborateurs.

Comment avez-vous travaillé avec le chef-opérateur polonais Adam Sikora ?
Je n’ai pas communiqué directement avec Adam. Tout a été fait à travers ma correspondance avec Akhtem. Je lui ai juste donné une idée de l’allure que le film devrait avoir. Je voulais une impression et un style théâtral.

L’histoire est sombre, mais le dénouement l'est encore plus. Pourquoi ne voyez-vous pas d’espoir pour ce monde ?
Eh bien, il y avait de l’espoir, juste avant la fin… Ce film est une œuvre d’art qui avertit les gens de faire attention à chaque fois qu’ils démarrent une révolution. Quand vous êtes capable de renverser le vieux régime, ça ne veut pas automatiquement dire que vous êtes capable d’en construire un meilleur. Donc dès le départ, il faut se concentrer sur ce qu'il faut faire pour que votre règne soit meilleur, pas seulement nouveau.

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(Traduit de l'anglais)

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