email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

France

Maïmouna Doucouré • Réalisatrice de Mignonnes

"Ce n’est pas un spot de prévention"

par 

- La cinéaste française Maïmouna Doucouré parle de son premier long, Mignonnes, primé à Sundance et à Berlin et acquis par Netflix, qui arrive dans les salles françaises

Maïmouna Doucouré • Réalisatrice de Mignonnes

Distingué par le prix de la meilleure réalisation World Cinema Dramatic au Festival de Sundance et par une mention spéciale Generation Kplus à Berlin, Mignonnes [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Maïmouna Doucouré
fiche film
]
est le premier long de Maïmouna Doucouré. Piloté par Bien ou Bien Productions, le film est lancé dans les salles françaises le 19 août par Bac Films. Le film a été acquis par Netflix.

Cineuropa : Comment est née l’idée de Mignonnes ?
Maïmouna Doucouré : Le jour où j’ai vu dans une fête de quartier un groupe de jeunes filles de 11 ans monter sur scène et danser d’une façon très sensuelle, avec des vêtements très courts. J’étais assez choquée et je me suis demandée si elles avaient conscience de l‘état de disponibilité sexuelle qu’elles renvoyaient. Il y avait aussi dans le public des mamans plus traditionnelles, dont certaines femmes voilées : c’était un vrai choc des cultures ! J’étais sidérée et j’ai pensé à ma propre enfance car je m’étais longtemps posée des questions sur ma féminité, évoluant entre deux cultures : ma culture sénégalaise qui me vient de mes parents et ma culture occidentale. Mais j’avais besoin d’avoir la version 2020 de cette jeunesse, donc pendant un an et demi, j’ai arrêté des groupes de jeunes filles dans la rue, parfois dans des écoles ou quand des associations m’ont ouvert leurs portes. Je les ai enregistrées ou filmées quand j’avais l’autorisation des parents, et j’ai recueilli leurs histoires, leurs récits, pour savoir où elles se situaient en tant qu’enfants, que filles, que futures femmes, comment elles se plaçaient dans la société avec leurs copines, leurs familles, à l’école, avec les réseaux sociaux. Ce sont toutes ces histoires qui ont nourri l’écriture de Mignonnes.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Le film est très attentif à ne pas porter de jugement.
Oui car ce n’est pas un spot de prévention. C’est avant tout une histoire singulière, un portrait sans concession d’une jeune fille de 11 ans plongée dans un monde avec des diktats qu’on lui impose. Il était très important de ne pas juger ces filles, mais d’abord de les comprendre, de les écouter, de leur donner la parole, de prendre en compte la complexité de ce qu’elles peuvent vivre dans la société et tout cela en parallèle avec leur enfance qui est toujours là, leur imaginaire, leur innocence. J’avais envie qu’on soit à leur place et j’ai fait en sorte que le spectateur devienne une petite fille de 11 ans le temps d’1h30.

Comment garder de la légèreté en dépit de la gravité du sujet ?
Ces filles sont dans une forme d’insouciance, elles ne se rendent pas vraiment compte de ce qu’elles font. Quand elles sont en groupe, il y a beaucoup de fraicheur, de rigolade : elles font les quatre cents coups. Tout cela est intrinsèquement lié à l’enfance et je ne pouvais pas raconter l’enfance sans passer par ce prisme de la joie de vivre.

Vous dénoncez l’impact des réseaux sociaux à cet âge.
Lors de mes recherches, j’ai constaté que toutes les jeunes filles que j’ai rencontrées sont exposées sur les réseaux sociaux. Et avec les nouveaux codes, la façon de se mettre en scène change. Les téléphones et les réseaux sociaux sont une extension de leurs bras et elles existent donc aussi à travers ce biais. J’ai constaté que de très jeunes filles avaient 400 000 personnes qui les suivaient sur les réseaux sociaux et j’ai essayé de comprendre pourquoi. Il n’y avait aucune raison particulière hormis le fait qu’elles avaient publié des photos sexy ou en tous cas dénudées : c’est cela qui leur avait apporté cette "célébrité". Aujourd’hui, plus une femme est sexy et plus elle est "objectisée", plus elle a de la valeur aux yeux des réseaux. Et quand on a 11 ans, on ne comprend pas vraiment tous ces mécanismes, mais on a tendance à mimer, à faire la même chose pour avoir un résultat similaire. Je trouve qu’il a urgence à en parler, à ouvrir le débat sur le sujet.

Ce débat, le film évite de le cantonner au milieu social populaire.
J’ai élargi mes recherches au-delà des quartiers populaires, jusqu’à des endroits plus huppés de Paris, et je me suis rendue compte que ce questionnement était présent dans tous les milieux sociaux. Mon personnage principal, qui est très inspiré de ma propre vie, est tiraillé entre cette oppression à laquelle se résigne sa mère et le désir d’aller chercher une espèce de libération à travers ce groupe de jeunes filles. Mais cette objectisation du corps, cette libération est-elle vraiment une forme de liberté ? C’est la question que je pose.

Quelles étaient vos intentions principales en termes de mise en scène et de photo ?
La ligne directrice de ma réalisation, c’était le personnage principal. C’est un film à hauteur d’enfant. Donc on voit tout à travers ses yeux, sa respiration, son rythme cardiaque. A tous les étages artistiques du film, le leitmotiv était de suivre l’état d’esprit émotionnel du personnel. En fonction, on créait la lumière. À l’extérieur, c’est très coloré, très lumineux, un véritable arc en ciel quand elle rencontre le groupe de jeunes filles car c’est comme cela qu’elle vit le monde dans lequel elle évolue. Quand elle est chez elle, au fur et à mesure que l’histoire avance, que les choses sont plus difficiles et que le bouleversement familial s’amplifie, l’image devient de plus en plus sombre, les couloirs se rétrécissent.

En recevant votre prix au Festival de Sundance, vous avez tenu un discours très fort sur la place des femmes et de la diversité dans le cinéma.
Il faut en parler. On sait qu’il y a un problème et ce n’est pas en se voilant la face que cela va avancer. On a besoin de plus de modèle, à de plus hauts postes. Voir une femme présidente de la République, des femmes astronautes, ingénieurs : ces modèles sont indispensables dans la construction des petites filles, essentiels pour ouvrir leur imaginaire. En cela, je pense que le cinéma a un grand rôle à jouer. En revanche, je ne me suis jamais sentie autant française qu’aux Etats-Unis. Là-bas, je suis une réalisatrice française. Évidemment, la question de la place des femmes est abordée, mais la notion de diversité, on ne m’en parle pas particulièrement. En France, j’ai cette sensation qu’il y a les films de science-fiction, les drames, les comédies, etc., et un autre genre : le genre diversité. On est obligée d’en parler aujourd’hui pour que les choses changent, mais on ne sera vraiment content et on ne lâchera le combat que quand ce genre diversité disparaîtra. Car personne n’a envie par exemple d’être sélectionné dans un festival pour des raisons de discrimination positive. Qu’on soit une femme, qu’on soit issue de la diversité, ce qui compte c’est que nos oeuvres soient pleinement reconnues artistiquement, pour ce qu’elles sont et non pour ce que nous représentons.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy