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Belgique

Thomas Verkaeren • Distributeur, O’Brother

“Nous avons un line-up incroyable de films prêts à sortir, et voilà qu’on ne peut rien lancer dans les salles”

par 

- Nous avons rencontré le DG de la société belge pour parler du marché de la distribution en Belgique et de sa situation actuelle

Thomas Verkaeren • Distributeur, O’Brother

Thomas Verkaeren, directeur général d’O'Brother, nous parle d’un line-up qui préfère prendre soin de certains films de producteurs belges plutôt que faire l’acquisition de quantités de films sur les marchés. Il nous explique les complexités et challenges qui se posent au Benelux, un territoire multiple et divisé, en partie dépendant de la France, et nous parle de ce qui compte le plus pour lui dans son travail, de ce qui l’anime et le motive.

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Cineuropa : Quelle est la ligne éditoriale d’O’Brother et comment a-t-elle été définie ?
Thomas Verkaeren : O’Brother Distribution a été créé il y a douze ans par Versus Production pour distribuer ses films et coproductions belges, le line-up étant complété par des films achetés sur les marchés. L'idée derrière ces acquisitions est d'avoir des films aux styles différents, ou plus commerciaux, afin de financer la promotion et la sortie de films de Versus. Maintenant, les choses sont différentes ; j’ai rejoint l’entreprise il y a quatre ans pour élargir la gamme des films.

Nous sortons une quinzaine de films par an, y compris ceux d’autres producteurs belges (comme Artemis, Kwassa Films, Tarantula), et des films achetés sur les marchés. Nous nous concentrons uniquement sur les films d’auteurs européens et recherchons ceux qui peuvent élargir le public et ouvrir les yeux des spectateurs à travers une prise de position forte et assumée, un sujet important ou des idées artistiques innovantes. Nous avons distribué, par exemple, Le Grand bain (Gilles Lelouche, 2018), Duelles (Olivier Masset-Depasse, 2018), Climax [+lire aussi :
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(Gaspar Noé, 2018), et nous attendons de sortir Mandibules [+lire aussi :
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(Quentin Dupieux, 2020), De nos frères blessés (Hélier Cisterne, 2020) ou encore Teddy [+lire aussi :
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(Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, 2020).

Quelles sont les principales particularités du marché du Benelux en termes de distribution de films indépendants ?
Le Benelux est un territoire assez vaste, d’environ 27 millions d’habitants, mais il est divisé en trois parties : le public francophone (belge et luxembourgeois), le public flamand belge et le public néerlandais. Certains films ont du succès en Belgique francophone mais ne sont pas sortis en Belgique néerlandophone ou aux Pays-Bas parce que les types de salles et les publics y sont différents. L’autre spécificité est le nombre de cinémas : il y a plus de salles aux Pays-Bas qu’en Belgique, qui manque de cinémas d’art et d’essai. Il y a donc trois territoires et trois publics très différents. Notre équipe travaille avec le Luxembourg et la Belgique, et nous travaillons en étroite collaboration avec Gusto Entertainment aux Pays-Bas, avec qui nous avons un accord de distribution.

Avez-vous des stratégies promotionnelles très différenciées ?
Bien sûr ! L’équipe des Pays-Bas a sa propre façon de faire de la promotion, mais quand il s’agit de prendre des risques, nous en discutons tous ensemble. Nous payons des minimums garantis pour les trois territoires combinés, et nous avons des frais communs de marketing print que nous divisons selon les besoins et les estimations.

Comment voyez-vous votre travail d’éditeur de films ?
O’Brother n’est pas un gros acheteur sur les marchés et ne définit pas sa ligne éditoriale avec ses acquisitions. Nous sommes au service des producteurs qui apportent des films ou des coproductions belges, donc notre rôle d’éditeur est extrêmement important. Chaque film est un nouveau produit et nous ne bénéficions pas d'une réputation internationale qu'il se serait pré-constituée, comme celle dont peuvent par exemple profiter les films achetés pendant des festivals, puisque nous les prenons avant de savoir s’ils assisteront à de tels événements. Nous nous battons bec et ongles pour chaque film que nous lançons dans les salles, pour défendre son sujet et la façon dont l’auteur l’a abordé. Et on fait ça un film à la fois, comme des artisans. Nous suivons par la suite la campagne de promotion de très près et accompagnons l’auteur et les acteurs dans leur tournée promotionnelle en Belgique. Donc c’est plus que de l’édition, c’est de l’artisanat.

Pour chaque sortie, nous devenons des experts sur un sujet pendant deux ou trois mois. Lorsque nous avons lancé Un pays qui se tient sage (David Dufresne, 2020), nous sommes devenus des experts en matière de violence policière pendant deux mois. Puis les deux mois suivants, nous pouvons devenir des experts dans un tout autre domaine, en agriculture par exemple, comme ça s'est passé quand on a distribué Au nom de la terre (Édouard Bergeon, 2019) ou en natation synchronisée, pour Le Grand bain. Chaque fois on creuse un sujet spécifique, on appelle tous les spécialistes, on se renseigne et on s’entoure du plus de personnes possibles pour aller le plus loin possible. C’est notre travail, ce travail d’artisan, d’éditeur.

Quelle a été votre campagne la plus importante ou originale ?
Nous voulions défendre Au nom de la terre à tout prix car nous le considérions comme un film social et politique important. Le sujet (l’agriculture) concernait tout le monde. Nous savons tous que l’agriculture en Europe est dans une situation difficile et qu’elle empire : les empires prospèrent alors que les petits agriculteurs ne peuvent pas joindre les deux bouts, et de plus en plus de gens de la communauté des agriculteurs se suicident. Notre campagne a réussi à montrer que le sujet était important pour les Belges et, plus que la campagne, le succès du film l’a prouvé.

Nous visions avant tout les agriculteurs, pas un public urbain, donc nous avons essayé de comprendre comment ils s’informaient,. Nous avons dû repenser toute notre façon de travailler, car lorsqu’on lance une campagne, on a des habitudes et des réflexes déjà ancrés, comme mettre des affiches dans les grandes villes et faire des campagnes de communication sur les réseaux sociaux. Cette fois, nous sommes entrés en contact avec les syndicats d’agriculteurs et les lobbyistes, et on a fini par avoir un rendez-vous à la Commission Européenne. Nous avons montré le film au commissaire européen à l’Agriculture et à ses collaborateurs. L’équipe du film est même revenue à Bruxelles pour promouvoir le film. Ce sont des moments très importants, ça m’a beaucoup ému, et c’est justement pour cela qu’on sort des films, pour cela qu’on fait ce travail d’éditeur.

Comment se répartissent vos sources de revenus par fenêtre de distribution et comment cela a-t-il évolué ces dernières années ?
Nos revenus procèdent des entrées, moins des ventes des droits TV, puisque nous n’achetons pas beaucoup de films. Les producteurs belges financent leurs films grâce aux ventes des droits TV avant le tournage, de sorte que lorsque le film est terminé, nous ne pouvons généralement pas le vendre aux chaînes. Les entrées dans les cinémas représentent les 2/3 de nos revenus, le 1/3 restant provient de la VOD, de la télévision payante ou des chaînes gratuites. Certains de nos films francophones marchent plutôt bien en Flandre, la vente des droits pour la télévision sont alors possibles.

La répartition a beaucoup changé ces dernières années. Les DVD ne représentent plus rien et quand on en fait faire, ce ne sont que des cartes de visite ou des cadeaux, mais en aucun cas des sources de revenus. La TVOD n’a pas compensé la chute du DVD. Les revenus de la télévision payante étaient importants pour nous, mais ils ont considérablement chuté depuis l’arrivée de Netflix ou de Prime Video, des entreprises qui n’achètent pas nos films parce qu’elles achètent principalement des droits multi-territoriaux. Donc, il y a eu en effet beaucoup d’évolutions ces dernières années, et beaucoup sont encore à venir (réduction des fenêtres dans la chronologie des médias, nouvelles plateformes, Premium VOD, nouvelle façon de programmer les films…).

La société O’Brother a-t-elle bénéficié d’un soutien structurel depuis la fermeture des cinémas pour la deuxième fois, en octobre ?
Comme plusieurs autres distributeurs, nous bénéficions du soutien annuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles aux opérateurs culturels, ce qui nous aide beaucoup. En raison de la fermeture des salles de cinéma, nous avons également bénéficié d’un soutien supplémentaire calculé sur les pertes lors du premier confinement. Une partie de nos dépenses pour des films qui n’ont pas pu sortir a été compensée de cette façon.

Sinon, pas d’aide ou de nouvelle depuis août. Nous avons encore quelques revenus provenant de la vente des droits TV pour des films sortis dans les salles en 2019, mais nous arrivons à la fin de cette ressource aussi, et si ça continue comme ça, nous allons avoir de gros problèmes. Un nouveau soutien à la culture a été approuvé en décembre, mais il n’a pas encore été distribué. Le Centre du Cinéma a promis de nous donner des nouvelles en mars.

Quelle sera votre organisation pour les prochains mois et la réouverture ?
Il y a plusieurs incertitudes : quand les cinémas pourront-ils rouvrir ? Quel sera le montant de l’aide, si tant est que nous en obtenions une ? Dans quelle mesure les cinémas vont-ils pâtir de la situation en termes de baisse de la fréquentation ? Ce qui est sûr, c’est que nous avons un line-up incroyable de films prêts à sortir, mais qu’on ne peut rien lancer dans les salles. Nous avons huit films qui devaient sortir entre janvier et la fin mai, mais si les salles n’ouvrent qu’à la mi-avril, par exemple, nous n’aurons qu’un mois et demi pour les sortir, parce que nous avons besoin d’être aussi synchronisés que possible avec les sorties françaises.

Nous dépendons contractuellement de la France : il y a des clauses qui prévoient que nous ne pouvons pas sortir certains films en Belgique avant leur sortie en France. Ce sont les sociétés de distribution françaises des différents films que nous avons prévu de distribuer qui définissent notre stratégie. Si l’une d’elle veut retarder la sortie de son film jusqu’au mois de novembre, nous devrons faire de même. Ça, c'est la quatrième incertitude : quels seront les line-ups en France ? Une fois que nous le saurons, nous pourrons prendre des décisions, car c’est en général intéressant de sortir des films en Belgique et au Luxembourg en même temps qu’ils sortent en France, pour bénéficier de la couverture médiatique française.

Quel est votre parcours et pourquoi avez-vous été attiré par le domaine de la distribution de films ?
J’ai étudié le design industriel, donc j’ai toujours été intéressé par les liens entre les aspects artistiques et commerciaux. J’ai commencé ma carrière comme responsable marketing pour des films commerciaux chez Cinéart, j’ai fait ça pendant six ans, puis je me suis laissé tenter par les sirènes de l’industrie automobile. Mais après quelques années, je voulais revenir au cinéma, alors j’ai commencé à travailler comme directeur général pour le label vidéo Twin Pics (PIAS). Nous distribuions des DVD pour Cinéart, Arte, Carlotta ou encore MK2. Quand il est devenu évident que le DVD deviendrait un produit de niche, je suis revenu à mon premier amour : la distribution de films dans les salles de cinéma. Et ça fait du bien !

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(Traduit de l'anglais par Julie Maudet)

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