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France

Cécile Salin • Distributrice, Diaphana Distribution

“Je suis plus préoccupée par les répercussions que la pandémie va avoir ces prochaines années”

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- La directrice des achats chez Diaphana prend acte des mesures mises en place par le gouvernement français tout en soulignant l’urgence qu’il y a à songer au futur proche

Cécile Salin  • Distributrice, Diaphana Distribution

Cécile Salin, responsable des acquisitions chez Diaphana Distribution, nous a confié les spécificités de son métier de distributrice de films indépendants en France. Tout en reconnaissant l’importance des mesures mises en place par le gouvernement français cette année pour pallier les effets de la crise, Salin souligne l’urgence de penser aux répercussions de la pandémie dans les années à venir.

Cineuropa : Pourriez-vous nous présenter votre société, son histoire, sa structure ?
Cécile Salin : Diaphana Distribution a été créée en 1989 par Michel Saint Jean. Cela fait plus de 30 ans que nous distribuons des longs-métrages et 20 ans maintenant que nous travaillons également dans la production. Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) de Dominik Moll a été notre première production. Nous assurons chaque année la sortie d’une douzaine de films dont plus de la moitié sont francophones. Nous nous concentrons sur l’acquisition de films d’auteur grand public de qualité, en essayant de sélectionner des films à Cannes, Venise, Berlin… Les deux principaux objectifs de notre société sont de dénicher de nouveaux talents et de développer une relation pérenne avec les réalisateurs avec lesquels nous collaborons.

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Nous développons actuellement la production de trois films, et nous sommes également engagés dans la coproduction du nouveau film de Lukas Dhont. Depuis des années, nous sommes présents sur les marchés de coproduction à la découverte de films. Nous n’avons aucune société de vente attachée à notre nom, comme c’est le cas pour un grand nombre de nos concurrents en France. Donc, notre présence sur les marchés se résume essentiellement à lire des scénarii et à trouver des projets en même temps que nos concurrents. Nous n’avons pas l’habitude d’acheter quoi que ce soit à ce stade, mais j’ai le sentiment que nous allons dorénavant nous engager dans un plus grand nombre de coproductions, y compris pour des films non francophones.

À votre avis, quelles sont les spécificités et les difficultés du marché français en matière de distribution cinématographique ?
Nous avons environ 4200 salles de cinéma sur l’ensemble du territoire, ce qui est énorme. La France compte plus de cinémas indépendants que l’Allemagne. Le nombre de salles est équivalent, mais chez eux, la plupart des salles dédiées au cinéma d’auteur se trouvent dans des multiplexes. Le réseau de cinémas indépendants en France permet d’avoir un véritable circuit pour les films d’auteur. Une autre spécificité du marché français est que les films nationaux représentent 40 à 50 % des entrées annuelles. En fait, pendant la pandémie, la part de films français a dépassé ces chiffres en raison de l’absence de blockbusters américains. Il est également intéressant de noter qu’il y a de la place pour tous les distributeurs sur le marché. Ceux qui, comme nous, se concentrent sur les films d’auteur grand public, ceux spécialisés dans le pur cinéma d’auteur et ceux qui assurent la sortie de films plus commerciaux.

Quant aux difficultés, elles sont similaires à celles des autres territoires. Pour l’instant, nous devons parler de la pandémie, qui a accéléré certaines tendances déjà présentes sur le marché. Les grandes plateformes de streaming n’étaient pas aussi puissantes en France que dans d’autres pays, mais elles se sont énormément développées récemment. Je pense qu’à l’avenir, nous devons repenser notre chronologie des médias et trouver un équilibre pour rester compétitifs.

Quel est, selon vous, le rôle du distributeur ?
Les distributeurs sont essentiels, surtout aujourd’hui où le contenu disponible au cinéma, sur les plateformes, à la télévision, sur You Tube, etc. est si important. Le rôle des distributeurs est d’aider le public à se retrouver dans tout ça. Nous communiquons avec la presse et travaillons à la promotion pour faire connaître les films. Lorsque les gens voient notre logo associé à un film, ils savent ce que cela signifie. Pour nous, l’important est d’amener les gens à voir des films d’auteur, tout en essayant de développer leur curiosité cinématographique. Nous sortons souvent des longs-métrages qui abordent des sujets importants, car nous pensons que le cinéma est également un excellent moyen d’exprimer ses idées et de faire évoluer les choses. C’est la raison pour laquelle la distribution est pour moi essentielle.

Comment pensez-vous généralement votre stratégie commerciale ? Pourriez-vous nous donner l’exemple d’une campagne de promotion d’un film européen réussie ?
En dehors du matériel promotionnel habituel, nous veillons à nous concentrer sur les thèmes spécifiques des films. Dans chaque projet, nous essayons d’établir des partenariats avec des associations, de créer des kits pédagogiques pour les écoles, etc. Je citerai l’exemple d’Au nom de la terre [+lire aussi :
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(Édouard Bergeon, 2019), l’histoire d’un agriculteur qui met fin à ses jours, avec Guillaume Canet. Nous savions que le film était excellent, mais il fallait attirer le public. Nous avons énormément travaillé le marketing en nous engageant auprès d’associations locales et en organisant plus de 400 projections de presse dans des petites villes de France. Cela a représenté quatre mois de travail en amont et le film a quasiment atteint les 2 millions d’entrées. Ça a été l’une de nos campagnes de promotion les plus particulières et les plus réussies. Girl [+lire aussi :
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(2018), le premier long-métrage de Lukas Dhont est également un bel exemple. Le réalisateur a sillonné les routes de France avec nous, ce qui a été déterminant pour la promotion.

Quelle est généralement la part des recettes de vos films en matière d’exposition ? Comment cela évolue-t-il ?
70 % de nos recettes proviennent des distributions en salle, 13,6 % de la vidéo et de la VOD, 7 % de la télé et le reste d’autres sources. Il faut préciser que pour les films français, les producteurs détiennent les droits télé, ce qui a un impact sur les chiffres. Pour ce qui est des tendances actuelles, la SVOD prend de plus en plus d’importance alors que le DVD, lui, est en perte de vitesse.

Quelles mesures ont été mises en place pour venir en aide aux distributeurs pendant cette pandémie, et de quelle façon cela va-t-il impacter la circulation des films indépendants dans les mois qui arrivent ?
En matière d’aides spécifiques, le gouvernement a annoncé différentes mesures au cours de la pandémie: une augmentation du fonds de soutien aux distributeurs par le CNC, un bonus pour les films impactés par le couvre-feu, une aide pour les films non francophones, le remboursement d’une partie des coûts de P&A pour les films sortis juste avant les confinements ou prévus les mois suivants, et un fonds de solidarité exceptionnel. Toutes ces mesures sont bonnes, mais, à ce jour, certaines aides n’ont toujours pas été perçues.

Le CNC a tenté de mettre en place quelque chose pour la réouverture des salles de cinéma. Ils souhaitaient un contrôle des films autorisés à sortir, par qui et à quel moment, afin que la concurrence ne soit pas trop dure. Il a également été question d’une semaine blanche (une semaine pendant laquelle seuls les films déjà sortis en octobre dernier pourraient être projetés). Mais les avis étaient trop divergents et, malheureusement, ces deux initiatives ont échoué.

Même si la situation actuelle est compliquée, la question est de savoir ce qu’il en sera dans un an. En 2020, le nombre d’entrées en France est passé de 200 millions à 70 millions. Qu’en sera-t-il l’an prochain ? Moins d’entrées impliquent moins d’argent pour le CNC, ce qui signifie moins de soutien pour la production, la distribution, etc. Je suis plus préoccupée par les répercussions que la pandémie va avoir ces prochaines années.

En ce moment, sortez-vous certains de vos films directement en VOD ou à la télé ou reportez-vous toutes les sorties ?
Nous ne pouvons pas aller directement vers la VOD ou la télé, parce que cette année, nous n’avons que des films français. Ce sont donc les producteurs qui décident de la fenêtre qu’ils souhaitent utiliser. Nous avons effectivement repoussé toutes les sorties pendant le confinement. Si les cinémas rouvrent le 19 mai, comme le gouvernement l’a annoncé, nous sortirons trois films d’ici juillet : Sous les étoiles de Paris [+lire aussi :
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(Claus Drexel, 2020), Médecin de nuit [+lire aussi :
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interview : Elie Wajeman
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(Élie Wajeman, 2020) et La Fine Fleur [+lire aussi :
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(Pierre Pinaud, 2020). Pour les autres, nous avons un flux de sorties clair, mais sans dates précises. Nous attendons également l’annonce de la sélection du Festival de Cannes.

Sur un plan plus personnel, qu’est-ce qui vous motive à faire ce métier, et comment percevez-vous l’avenir ?
Je suis cinéphile tout simplement, une amoureuse du cinéma, et j’adore vraiment ce boulot : la découverte de films lors de festivals, la lecture de scénarii, les rencontres… Quand vous aimez les films, ce qui compte c’est de convaincre les autres de l’importance de ces longs-métrages, de montrer qu’ils sont un excellent moyen de voir la vie sous un autre angle. Je sais que l’avenir est incertain, mais je veux croire que le cinéma n’est pas mort. Par les temps qui courent, nous avons besoin de rêver.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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