email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CANNES 2021 Cannes Première

Arnaud Desplechin • Réalisateur de Tromperie

“Elle défend la cause des femmes, toutes les femmes, alors qu’il défend la cause de ‘chaque’ femme”

par 

- CANNES 2021 : Le réalisateur français adapte enfin un des écrivains qui l’a le plus influencé, le romancier américain Philip Roth ; nous parlons de cela , et d’autres choses encore

Arnaud Desplechin  • Réalisateur de Tromperie

Arnaud Desplechin est un régulier du Festival de Cannes est un de ses chouchous (la standing ovation lors de la première mondiale de son film, mardi soir, a été une des plus ferventes de cette édition), mais les films qu'il a présentés en compétition n'ont pas toujours eu de chance au moment de l’annonce des résultats par le jury. Cette année, il est dans une toute nouvelle section, en grande partie imaginée en réponse au retard des sorties de films français du fait de la pandémie, appelée Cannes Première, avec Tromperie [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Arnaud Desplechin
fiche film
]
, une version filmique très littéraire et très belle du court roman du même nom par Philip Roth paru en 1990. Son projet suivant, Frère et soeur, avec Melvil Poupaud et Marion Cotillard (que le réalisateur retrouvera, après l'avoir dirigée dans Les Fantômes d'Ismaël [+lire aussi :
critique
bande-annonce
Q&A : Arnaud Desplechin
fiche film
]
et Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle)), entrera en tournage cette année (lire la news).

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
Hot docs EFP inside

Cineuropa : Vous avez d’abord lu Tromperie en français, puis en anglais... Est-ce que vous suiviez la carrière de Philip Roth et lisiez tous ses livres au fil de leur parution ?
Arnaud Desplechin :
J’ai découvert ce livre assez tard. Le premier Philip Roth que j’ai lu, c'est La complainte de Portnoy, quand j’avais plus ou moins 24 ans, donc assez tard. Je suis tombé amoureux de son écriture, et j’ai lu tout ce qu’il avait publié, et puis à un moment, je me suis lassé des traductions et je me suis mis à le lire en anglais. Après, je relisais tous les livres en français, juste pour le plaisir. Je ne pouvais pas attendre un an et demi qu'arrive la traduction, mais ensuite, quelques temps plus tard, je pouvais apprécier la version française.

Vous êtes parvenu à recréer brillamment l’aspect physique de Roth, avec Denis Podalydès. Et vous connaissiez un peu Roth personnellement. Pour construire le personnage avec Denis, vous êtes-vous appuyés sur des sources comme des interviews filmées ou des enregistrements de sa voix ?
Tout à fait, il y a beaucoup de documentaires sur Philip Roth, que Denis Podalydès a vus, mais notre idée était de ne pas recourir à des effets spéciaux du tout et je sais que l’approche qu'avait Denis du personnage, l'alter-ego de Philip Roth, passait par un parcours intérieur, pas un aspect physique extérieur. Je lui ai toutefois demandé deux choses : d'être très élancé et mince (le corps de Philip Roth lui-même était ainsi, si vous regardez les photos) et puis d'avoir ses sourcils. Tous les matins, nous en mettions des faux : ça prenait une heure, mais c’est le seul effet visuel auquel nous avons eu recours.

Un autre problème est que Denis n’est pas juif, il est catholique. À vrai dire, Denis est athée, moi je suis catholique. Comme l'a dit Philip Roth, et le film Certains l'aiment chaud, personne n’est parfait. Cela dit, ce qu’ils partagent, c’est que Denis est un merveilleux écrivain et metteur en scène de théâtre. Il a écrit de beaux livres sur le théâtre, la scène et le jeu d'acteurs (le jeu shakespearien).

De tous ses romans, La tache (2000) est celui dont on a dit qu'il pressentait le mouvement #MeToo. Pouvez-vous nous parler de la scène de la cour imaginaire dans Tromperie ? C’est un peu le procès moral auquel Roth n'a jamais été confronté de son vivant, mais qu’il aurait peut-être mérité.
Trois décennies avant #MeToo, cette scène existait déjà. En effet, la difficulté est la situation dans laquelle Philip se trouve : il fait face à une autre femme avec les traits de Saadia Bentaieb, qui joue la juge. Saadia est une formidable comédienne de théâtre. Je ne voulais pas qu’elle ridiculise ou se moque du personnage de Philip. Elle défend la cause des femmes, de toutes les femmes, alors qu’il défend la cause de "chaque" femme, et c’est la raison pour laquelle ils ne se comprendront jamais. Et bien sûr, c’est une scène comique – elle doit être jouée sur un ton léger et vous faire rire. Et la juge est entourée de femmes : le jury, les amies, les avocates. Il m'a fallu plusieurs prises. Je voulais vraiment ne pas diriger qu'elle dans la scène du procès, de manière à ce que cette audience qui l’entoure, tous ces personnages féminins, provoquent le rire, d’une certaine manière. Il fallait que ce soit drôle, pour bien formuler le propos : cet effet comique était une question de mise en scène, d’éclairage et d'art de la direction d’acteurs. À la fin de la scène, on voit une photo de Kafka dans le bureau de Philip : cet élément est juste un indice pour refléter le fait que nous sommes dans une dimension kafkaïenne.

Je me souviens d’une citation du Théâtre de Sabbath, qui est une des phrases les plus jubilatoires que Philip Roth ait jamais écrites. Dans le témoignage de Sabbath, il dit "Il n'a jamais rien fait pour les juifs". C'était un mauvais juif. On a le procureur ici, qui dit : "Qu’est-ce que vous avez fait pour les femmes ?". Non, j’ai fait quelque chose pour Léa, Emmanuelle. C’est le même jeu qui se joue sur cette scène-ci, et sur cette scène-là.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy