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GAND 2021

Christophe Hermans • Réalisateur de La Ruche

"Le corps des enfants est fait du bruit des parents"

par 

- Rencontre avec le cinéaste belge reconnu pour ses documentaires, qui a présenté son premier long métrage de fiction, un huis clos intensément féminin

Christophe Hermans  • Réalisateur de La Ruche
(© Cinevox)

Rencontre avec Christophe Hermans, cinéaste belge reconnu pour ses documentaires (En attendant la seconde vague, Victor, Éclaireurs), qui présentait la semaine dernière à la Fête du cinéma de Rome et cette semaine au Festival de Gand son premier long métrage de fiction, La Ruche [+lire aussi :
critique
interview : Christophe Hermans
fiche film
]
, avec Sophie Breyer, Mara Taquin, Bonnie Duvauchelle et Ludivine Sagnier.

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Cineuropa : Comment avez-vous découvert l’oeuvre d’Arthur Loustalot, La Ruche, dont le film est adapté, et comment a-t-elle fait écho en vous ?
Christophe Hermans :
Juste après mon troisième court métrage de fiction, j’ai cherché à écrire un premier long. Je voulais y parler d’une mère dysfonctionnelle, y traiter de la bipolarité, ou en tous cas d’une défaillance. J’ai longtemps écrit seul, sur mon rapport à ma mère. Et je me rendais compte au fil des années que je n’arrivais pas à construire une histoire. Un jour, ma productrice Cassandre Warnauts m’a conseillé de lire le roman d’Arthur LoustalotLa Ruche. J’ai fortement accroché dès les premières pages. Un drame s’y jouait dans un appartement où des portes s’ouvraient et se fermaient, où les non-dits prospéraient. C’est précisément ce que j’essayais d’écrire. Je pense que pas mal de cinéastes parlent d’eux dans leur premier film, et c’est toujours difficile de trouver la distance par rapport au sujet. Il a fallu que je trouve un autre médium pour y arriver, ce roman, qui m’a permis totalement de me distancer de ma relation singulière avec ma mère, pour essayer de la traduire à travers la vision de trois filles, trois approches psychologiques différentes, dans lesquelles je me reconnais…

Pourquoi avoir choisi de suivre le point de vue de Marion, l’aînée, principalement ?
Ce n’est pas un film sur une mère bipolaire, mais bien sur les enfants qui doivent porter chaque jour un parent défaillant. C’est partir de cette phrase qui dit que "le corps des enfants est fait du bruit des parents". Comment on peut devenir parent de sa propre mère ? Comment Marion se construit une carapace, comment elle résiste tout au long du récit, alors qu’elle pourrait craquer ?

Comment avez-vous imaginé cette ruche ?
En documentaire, je travaille beaucoup sur la notion de territoire. J’ai voulu travailler un huis clos, assez classique, avec un appartement qui devienne un personnage du film. L’intimité n’y existe pas. On ne peut pas garder de secret à l’intérieur de cette ruche. Je voulais montrer ces femmes qui coexistent à l’intérieur, mais qui sont obligées de garder le secret dès qu’elles sortent de la ruche.

Il y a un double extérieur à la ruche, le monde où évoluent, travaillent les filles, et puis l’ailleurs, de l’ordre du fantasme, le Brésil notamment où rêve de s’envoler Marion ?
Cet ailleurs, c’est une envie de se libérer de quelque chose, de provoquer un départ pour pouvoir s’échapper. Marion a envie de découvrir le Brésil, mais surtout, de trouver de l’air, de l’oxygène. C’est sa porte de sortie. Sauf que cette idée est contrariée, phagocytée par la mère, qui décide de l’accompagner. Elle se rend compte qu’elle ne pourra jamais se libérer du poids de sa mère.

L’image est très feutrée, très picturale.
J’avais effectivement certaines références picturales, notamment les tableaux de la peintre expressionniste Berthe Morisot, qui a beaucoup traité l’intimité des femmes, et leurs intérieurs. Je ne voulais pas d’éclairage artificiel dans le film, on a travaillé en fonction du déplacement du soleil dans l’appartement, et on a choisi la couleur des murs en fonction des endroits où on plaçait les points lumineux.

Comment avez-vous préparé le tournage pour recréer cette famille à l’écran ?
Ca c’est fait en deux temps. Je voulais que la sororité et le lien maternel existent à chaque moment. Je ne voulais pas que ce soit faux. La préparation a duré un an. J’ai demandé aux filles (ndlr: Sophie Breyer et Mara Taquin) de développer une relation amicale forte. Quand j’ai commencé à voir qu’un lien très fort les unissait, je me suis rendu compte qu’elles avaient la même partition, qu’elles jouaient la même chose. Il a fallu les distancier, les défusionner, et créer autre chose. Elles avaient créé le lien d’amour, il fallait créer le lien de détestation. Ensuite, j’ai envoyé les filles à Paris, et je leur ai dit de s’incruster chez Ludivine. Je leur avais dit : "si elle vous invite à passer prendre un verre, vous restez jusqu’à minuit." (rires) J’ai demandé à chacune des comédiennes d’amener des objets personnels dans l’appartement. Je voulais que cette maison soit la leur, je leur ai d’ailleurs demandé d’y vivre en amont du tournage, pendant les dix jours de préparation.

Au début du travail, les comédiennes n’avaient pas lu le scénario. Puis je leur ai demandé de l’apprendre par coeur à quelques jours du tournage, car durant les 25 jours qu’il a duré, on pouvait être amenés à tourner n’importe quelle scène. Je crois que c’est ce qui donne quelque chose d’un peu hybride au film, avec de vrais moments de vie. On était dans un laboratoire. Je voulais pousser les comédiennes dans un état extrême, pour que la caméra capte les 30 secondes après cet état. Ce qui m’intéresse, c’est quand les comédiens ne contrôlent plus, quand ils pensent que la caméra ne filme plus. Au montage, j’allais chercher les endroits où je trouvais que la vie existait, où l’émotion était la plus sincère…

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