email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

France

Mathieu Gérault • Réalisateur de Sentinelle Sud

"L’art belliqueux de la guerre s’est diffusé dans le récit et dans les personnages"

par 

- Film noir et retour de guerre post-traumatique sur fond de trafic et de quête désillusionnée de la fraternité des armes pour le premier long métrage d’un cinéaste français prometteur

Mathieu Gérault • Réalisateur de Sentinelle Sud
Mathieu Gerault en tournage à Emergence (© Marie Augustin/Emergence)

Récent prix du public au festival de Bergame, Sentinelle Sud [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Mathieu Gérault
fiche film
]
, le premier long métrage du Français Mathieu Gérault sera lancé dans les salles de l’Hexagone par UFO Distribution le 27 avril. Écrit par le réalisateur avec la collaboration de Noé Debré et Nicolas Silhol, et interprété par Niels Schneider, Sofian Khammes, India Hair, Denis Lavant et Thomas Daloz, il a été produit par Agat Films & Cie.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Cineuropa : D’où est venue l’idée d’un film centré sur des militaires de retour à la vie civile et à la lisière du stress post-traumatique ?
Mathieu Gérault : C’est parti de la guerre, à la fois comme un événement, mais aussi comme un sentiment que je voulais aborder : se sentir en guerre, assiégé. Je me suis rapidement rapproché de personnages de soldats et du retour de la guerre, un moment très intéressant car il permet un retour sur soi. J’avais également envie de décrire des personnages à travers leur enfance, une période qui a pu dicter leurs choix ultérieurs d’aller à la guerre, de rencontrer un commandant, de choisir une morale, une grandeur, un dépassement de soi, de chercher un rituel de courage dans le passage à l’âge adulte. Cela me permettait également de parler de la fraternité, de la désillusion, de la souffrance du retour quand on a perdu des frères d’armes.

Comment avez-vous réussi à imprégner le film d’une grande crédibilité sur le plan des codes de l’univers militaire ?
Il y a évidemment le talent des acteurs qui est arrivé dans un second temps. À l’écriture, il fallait de l’authenticité, accéder à une véracité. C’est passé par de la documentation. Je ne voulais pas rencontrer directement de soldats car j’avais envie de fiction, d’une distance et d’un espace sur lesquels me projeter pour développer le personnage principal de Christian Lafayette. Donc je me suis rapproché de personnes qui pouvaient verbaliser l’expérience du retour du soldat, j’ai rencontré beaucoup de soignants, d’ergothérapeutes, dans les hôpitaux militaires. J’ai vu aussi énormément de documentaires et lu beaucoup de livres sur toutes les guerres, notamment l’Indochine, l’Algérie, le Liban, le Vietnam, l’Irak, les opérations de Tsahal, etc. L’art belliqueux de la guerre s’est diffusé dans le récit et dans les personnages.

Le film s’inscrit dans l’environnement social des banlieues et de la ruralité dont sont issus ces soldats.
Je viens d’un environnement très rural, du bocage du nord de la Mayenne, une terre de chasse, de motocross et de catholicisme. Je voulais faire de Christian un personnage un peu taiseux, très terrien, et l’associer à un acolyte nerveux, malin, un peu plus politique, cherchant à comprendre. C’est quelque chose que j’ai connu quand mes parents se sont séparés et nous nous sommes installés avec ma mère dans l’urgence dans une cité HLM de Laval. Pour nous, c’était Brooklyn, et j’y ai rencontré un Mounir qui m’a initié aux codes urbains. J’ai aussi la passion du cinéma du Nouvel Hollywood, de films comme L’Épouvantail ou Macadam Cowboy, des films d’amitié, de duos avec des figures très archétypées, très différentes, et cela a nourri la construction de cette fraternité.

Le récit touche aussi le sujet de l’intégration.
J’avais à cœur d’en parler et Sofian Khammes s’est mobilisé sur ces questions que porte le personnage de Mounir : qu’est-ce que c’est la France ? D’où on vient-on ? C’est l’intégration par le feu, comme disent les militaires, pour ces jeunes des quartiers défavorisés d’origine maghrébine avec tout ce que cela comporte de désillusions, d’expérience du racisme au sein de l’institution militaire, du regard de la communauté musulmane quand vous revenez de guerroyer en Afghanistan par exemple : ce n’est pas simple pour eux !

Avec tous ces éléments, vous avez façonné un film noir avec trafic d’opium, braquage de bijouterie, malfrats gitans de banlieue parisienne, etc.
J’ai découvert que pendant la guerre d’Indochine, on avait trouvé des tonnes d’opium dans un camion de l’armée française. Je n’en ai jamais entendu parler dans le contexte de la guerre en Afghanistan, mais comme ce pays représente 80% de la culture mondiale de pavot avec un circuit allant jusqu’à la pharmacopée occidentale, c’était intéressant de s’emparer de cela, de découvrir qu’on patrouille dans les champs d’opium et que c’est un enjeu géopolitique et économique. Quant au film noir, si les personnages sont plutôt nés de mes expériences personnelles, là ce sont plutôt des motifs qui rejoignent ma passion du cinéma que j’ai vécue en solitaire pendant quelques années. Je vivais la ville comme un étranger, un peu à la marge, comme la vit Christian. Et dans cet amour du cinéma, il y avait des figures que j’avais envie de traiter dans mon premier film : les films de braquage, les films de romance, les films de "brothers".

Ce mélange des genres a-t-il facilité ou compliqué le financement ?
Cette originalité qui allait dans un endroit un peu mal connu était jugée soit trop ambitieuse, soit difficile à définir. Etait-ce un film noir ? Un film de banlieue ? Un film de drogue ? Un film médical sur le syndrome post-traumatique ? Je n’avais sans doute pas non plus la bonne réponse car je disais que je voulais faire un film simple et un peu classique pour raconter la quête affective de Christian qui s’est construit dans un réflexe sacrificiel. Je pense que ce mot "classique" n’a pas été vraiment compris. Je ne voulais pas être dans l’esbroufe, mais être rigoureux, méthodique, dans la pudeur et à l’écoute des souffrances des personnages. Tout cela n’a pas facilité le financement et avec mon producteur, David Coujard, nous avons été amenés à faire nos preuves quasiment tout seuls, dans une économie de vraie série B. il a fallu trouver des solutions dans la pauvreté, tout en continuant à toujours proposer du voyage. Mais c’est ça le cinéma d’auteur, c’est un sacerdoce.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy