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Belgique / République démocratique du Congo / France

Marc-Henri Wajnberg • Réalisateur de I am Chance

"Je voulais que ces filles des rues redeviennent sujets de leur histoire"

par 

- Rencontre avec le cinéaste belge qui plonge une fois de plus au coeur de Kinshasa pour un documentaire aux côtés des enfants des rues qui peuplent la ville

Marc-Henri Wajnberg • Réalisateur de I am Chance

Rencontre avec le cinéaste belge Marc-Henri Wajnbrosse, qui après le long métrage de fiction Kinshasa Kids [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Marc-Henri Wajnberg
fiche film
]
et le film de réalité virtuelle Kinshasa Now plonge une fois de plus au coeur de Kinshasa pour I am Chance [+lire aussi :
critique
interview : Marc-Henri Wajnberg
fiche film
]
, un long métrage documentaire (en salles en Belgique à partir d'aujourd'hui) aux côtés des enfants des rues qui peuplent la ville, et plus particulièrement auprès d’un gang de filles et de leur cheffe, Chancelvie.

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Cineuropa : Quelles sont les origines de ce projet ?
Marc-Henri Wajnbrosse :
Il y a 10 ans, je suis allé au Congo pour faire un film sur des musiciens qui n’obtenaient pas leur visa. J’ai été tellement sidéré de voir ces milliers d'enfants dans les rues, d’autant que j'avais des enfants qui avaient à peu près le même âge à l’époque, que mon projet à évolué pour devenir la fiction Kinshasa Kids.

Le film a fait beaucoup de festivals, et j'ai vu la méconnaissance et l'étonnement des gens. C'est comme ça que je me suis demandé comment je pouvais faire quelque chose qui pourrait être proche des adolescents, en utilisant leurs outils. C'est devenu Kinshasa Now, un film interactif en réalité virtuelle.

C'est lors du casting, où j'ai vu des centaines d’enfants, que j'ai rencontré Chancelvie, et que j'ai senti la force qu'elle avait.

Je discute beaucoup avec les enfants que je filme, beaucoup ont émis le souhait de sortir de la rue, et je les ai accompagnés. Certains ont pu étudier, aller dans des centres. Mais pour Chancelvie, ce choix était compliqué, elle vit dans la rue depuis qu’elle a 8 ans, et elle n’est pas prête à renoncer à ce qu’elle envisage comme sa liberté. Je suis néanmoins resté en contact avec elle. Un jour elle m’annonce qu’elle est enceinte, et qu’elle aimerait bien qu'on fasse un film ensemble. Je me suis dit que c’était un signe, qu’il fallait y retourner.

Qu’est-ce que le format documentaire apporte de spécifique à la thématique ?
D’abord, je trouvais intéressant de parler spécifiquement des filles, de leurs écuries comme elles disent. Je ne m'attendais absolument pas à être plongé aussi profondément dans leur intimité. Ni à découvrir une telle violence. L'idée, c'était de leur donner la parole, c’est d'ailleurs pourquoi il n'y a pas de commentaire ou de voix off.

Les enfants en général sont des personnes invisibles, ou plutôt invisibilisées, auxquelles on ne donne pas la parole, et pour les filles c’est encore pire. C'était l'occasion de les laisser s'exprimer dans leur intimité, dans tout ce qu'elles voulaient dire, de leur rendre cette parole qu'on leur refuse. Etant à la fois des femmes, et des enfants des rues, ces filles sont doublement considérées comme des objets. Je voulais qu’elles redeviennent sujets de leur histoire.

Quelle place ont ces jeunes filles dans la rue kinoise ? Quelle est leur situation dans la ville ?
Elles n'ont aucune place. C'est un monde parallèle. Personne ne fait attention à ces enfants. On a fait une tournée au Congo, auprès d’éducateurs en dehors de Kinshasa, avec le film précédent, et en le découvrant, certains se sont mis à pleurer, en disant : "On a raté quelque chose avec ces enfants." Même les gens qui s’occupent d’eux dans les centres ne les regardent pas en face quand ils les croisent dans les rues.

Qu'est ce qui caractérise ces jeunes filles ?
L'énergie. C'est pour ça que j'aime Kinshasa. Cette ville dégage une énergie hallucinante. C’est une impression que j’ai eue à New York aussi, l'impression d’être dans un poumon qui respire. Et cette énergie, on la retrouve chez ces jeunes filles, on retrouve une énergie de vivre qui est à mille lieux de ce que je peux voir chez des adolescents du même âge ici. Elles ont une maturité, une énergie, une envie, un humour. Et elles sont tout le temps en train de rire ou de se battre et de se raconter des choses. Je voulais rendre hommage à cette vitalité dans le film.

On voit aussi qu'elles fréquentent des communautés d’artistes. Qu'est ce qui les unit ?
Cette énergie justement. Il y a une énergie créatrice folle à Kinshasa, dans tous les domaines, la peinture, la sculpture, la performance. Les artistes qu’on voit dans le film ont commencé à travailler sur les déchets et c'est très révélateur de la démerde, du fameux article 15 de Kinshasa, "Démerdez-vous." C’est en lien avec la pollution, la précarité, c'était très symbolique.

Est-ce que les choses ont changé depuis que vous avez découvert cet aspect de Kinshasa ?
C'est pire qu'avant dans la mesure où j’ai l’impression qu’il y a moins de joie. La première fois que j’y suis allé en 2010, il y avait une sorte d'euphorie partout et maintenant il y a une certaine tristesse. La précarité est encore plus grande aujourd'hui.

Quel était le plus grand défi pour vous ?
C'était de donner à ces jeunes la parole, qu’elles puissent s'exprimer librement. Je crois que si Chancelvie a accepté d’être filmée, l’a demandé même, c’est pour que quelqu’un, enfin, fasse attention à elle. Elle m’a parlé de sa vie sans se censurer. Du rejet par la mère, des maltraitantes, des viols, par son oncle notamment. C'est très compliqué de se projeter dans le futur pour ces filles qui vivent dans la rue. Elles préfèrent d’ailleurs rester en bande, qu’être dispersées dans des centres. Mais le fait d’être regardées, cela les a fait réfléchir à l’avenir…

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