email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

VENISE 2022 Orizzonti

Rachid Hami • Réalisateur de Pour la France

"Ce n’est pas l’armée contre une famille d’arabes banlieusards"

par 

- VENISE 2022 : Le réalisateur décrypte son second long, une fiction inspirée par la mort accidentelle de son propre frère durant sa formation d’officier de l’armée française

Rachid Hami • Réalisateur de Pour la France

Pour la France [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Rachid Hami
fiche film
]
, le second long métrage du cinéaste français Rachid Hami a été présenté au programme Orizzonti de la 79e Mostra de Venise où le réalisateur avait déjà dévoilé son premier opus, La mélodie [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film
]
, en 2017.

Cineuropa : Pourquoi avoir décidé de réaliser un film autour du sujet douloureux de la mort de votre frère ?
Rachid Hami : J’avais la sensation qu’il y avait quelque chose d’assez intéressant à raconter dans le destin de mon petit frère : l’histoire d’un immigré algérien devenu banlieusard, puis saint-cyrien et mort pour la France, c’est un peu l’histoire de notre pays, de la France telle qu’on la connaît aujourd’hui avec tout ce qui la compose. Le plus important, c’était de casser des images car cela fait des années qu’on fait des films sur la banlieue avec des gens qui rêvent d’argent, de pouvoir, de force, qui adulent la violence. J’avais l’occasion de témoigner d’une partie très silencieuse, très majoritaire dans les quartiers, puisque c’est là que j’ai grandi, qui rêve d’honneur, de dignité, d’appartenance, d’intégration, sans pour autant renier ses origines ou sa religion. J’avais le sentiment d’avoir un devoir de raconter cette histoire pour eux, et pour mon frère aussi : pour dire qu’ils existent.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Pourquoi avoir choisi de ne pas aborder le sujet totalement frontalement - une confrontation avec les militaires au sujet du décès et de l’enterrement -, en traitant cela tout en recentrant le film sur l’intime ?
Quand vous vivez les choses de l’intérieur, rien n’est jamais blanc et noir, c’est très nuancé, très compliqué. Ce n’est pas l’armée contre une famille d’arabes banlieusards, c’est très loin de ça. Je ne voulais faire un film contre personne, je ne pouvais pas déshonorer mon frère, être entièrement contre l’armée puisqu’il en faisait partie. C’était une position très difficile, car comme dans toute institution, il y a de tout dans l’armée, y compris des gens bien et des êtres humains derrière chaque uniforme. Aïssa faisait partie de cette institution et la famille Saïdi est une famille moderne. La mère est instruite, forte, elle n’est pas en foulard, illettrée. Au contraire, elle va sur le terrain de l’honneur et de la dignité pour son fils, et le frère, Ismaël, aussi. Pour ce dernier, il y a comme un bilan à faire de sa vie. Et si j’ai choisi de raconter cette histoire du point de vue d’Ismaël, c’est aussi pour ne jamais trahir mon frère, c’est éthique.

Comment avez-vous géré la richesse du scénario : le temps présent qui s’écoule, les flashbacks sur l’enfance en Algérie et sur le séjour étudiant à Taïwan de Aïssa et la visite que lui rend Ismaël ?
Dès le départ, c’était le pari du film. J’avais envie de raconter un film en trois temps pour que cela devienne une épopée. Plus c’était une épopée, moins c’était un film linéaire, frontal, contre l’armée, et plus le film devenait un film car on entrait dans la tête des personnages, dans celle d’Ismaël, dans son passé et dans celui de son petit frère. Et je voulais aussi offrir aux spectateurs un film d’auteur où ils allaient vivre une aventure, davantage que ce que l’on pouvait imaginer sur l’idée de base.

L’absent est évidemment très présent dans le film, mais le protagoniste est le grand frère qui fait le point sur lui-même à travers son processus de deuil.
Si j’avais fait un film sur Aïssa, j’aurais trahi mon frère. C’est une quête de rédemption. Ismaël confronte ses démons, ce qu’il a été, ce qu’il est, ce qu’il ne veut pas être et ce qu’il veut devenir. Son parcours, comme celui de son frère, sont deux miroirs. Si Ismaël n’était pas allé à Taïwan, il aurait peut-être géré cette histoire de manière différente, il n’aurait peut-être pas compris ce qu’il a compris dans le temps présent du récit. Car il cherche le pardon, le pardon de sa famille, le pardon de la société, le pardon de son frère qui est mort.

Le film est inévitablement émouvant, mais cela reste contenu.
Certains films m’ont servi de boussole, en particulier ceux d’Edward Yang avec leur distance par rapport aux sentiments. Personnellement, le romantisme me rejette des films et cette idée de traiter les sentiments les plus âpres avec une certaine froideur me plaisait car cette froideur laisse la possibilité au spectateur de ressentir ce qu’il veut. Ensuite, quand les spectateurs vont au cinéma, ils ont une idée de la mort préconçue : il y aura des larmes tout le temps, beaucoup de musique. Mais en réalité, la mort, quand on la vit, on n’en saisit la difficulté et la douleur que dans le temps : c’est l’absence, le vide, le fait que les disparus ne vivent que dans notre mémoire. Quand est face à un mort, on ne pleure pas forcément tout le temps et parfois on ne comprend pas ce que la mort signifie. C’est cette incompréhension que je voulais retranscrire. Il fallait que ce soit mélancolique, mais pas "cheesy", pas romantique. La mélancolie, c’est une série de questionnements sur ce que l’on vit, où on en est et pourquoi on vit ce que l’on vit.

Quels ont été vos parti-pris pour le traitement visuel très distinct du présent et du passé ?
Pour Paris, je voulais tourner avec des optiques beaucoup plus dures, qui restituaient plus la réalité, alors pour Taïwan et l’Algérie c’étaient des optiques anamorphiques pour apporter de la douceur, un rapport différent au flou, un rapport différent à la masse dans l’image. Pour chaque partie du film, nous avons changé d’outils, d’optiques, de caméras, ce qui nous a permis, sans entrer dans un truc à la Traffic de Soderbergh qui était trop ostentatoire, de donner des textures différentes à l’image. Et c’est un travail que nous avons continué au son pour offrir aux spectateurs des sensations.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy