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VENISE 2022 Compétition

Romain Gavras • Réalisateur de Athena

“D’un coup, c'était devenu un peu une Cinecittà du 91”

par 

- VENISE 2022: Le réalisateur français nous a parlé de la genèse d’un film aussi spectaculaire que sensible et émouvant

Romain Gavras • Réalisateur de Athena

Co-écrit avec Ladj Ly et Elias Belkeddar, Athena [+lire aussi :
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de Romain Gavras se déroule en banlieue mais a des airs bien assumés de tragédie gréco-romaine. Le film suit trois frères — un soldat de l'armée Française, un trafiquant d’armes et de drogues, et un jeune homme rebelle — alors que ce dernier mène son quartier entier dans une révolte de masse contre la police, après une vidéo apparue en ligne montrant que la mort toute récente de leur petit frère fut causée par des hommes en uniformes. 

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À Venise, où le film est en compétition pour le Lion D’or, Romain Gavras nous a parlé de la genèse d’un film aussi spectaculaire que sensible et émouvant. 

Cineuropa: Il y a souvent un instinct, pour les films de banlieue, de demander à ce que chacun apporte quelque chose de nouveau. L'avez-vous aussi ressenti en faisant Athena
Romain Gavras: Généralement, que ce soit dans des films ou des clips, quel que soit le territoire ou le genre, j'essaie d’apporter quelque chose de nouveau. Quand on fait un film ou une œuvre visuelle, il faut essayer d'amener une pierre à l'édifice. Je pense que le film de banlieue est une catégorie qui est plus basée sur un territoire, mais qui maintenant est presque devenue une catégorie de film en France — ça fait quand même 30 ans depuis La Haine, plus depuis Le thé au harem d'Archimède dans les années 80. Et évidemment, puisque Ladj et moi faisons parti de la même équipe, et que Ladj a sorti Les Misérables [+lire aussi :
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il y a trois ans, quand on a commencé à écrire, on s’est dit “comment va-t-on avoir un récit qui est articulé d’une autre façon, comment la grammaire visuelle va-t-elle venir compléter cette histoire différente?” Très vite, on est arrivé sur l'idée de la tragédie, formellement et dans la manière d’articuler le récit. Ce que la tragédie ramène c’est une iconographie forte, et elle fait passer des idées par des émotions et du symbolisme. Elle est au dessus de la réalité. 

Beaucoup de cinéma en ce moment se rabat sur le réalisme. Est-ce que c'était un désir conscient de vous éloigner de ca ? 
Complètement. Après, chaque réalisateur va avoir sa façon de raconter une histoire. Chez moi, ça passe plutôt par l’image et les sensations, parce que le cinéma c'est aussi ça. Moi, les films que j’aime, c’est ceux qui me font une proposition de symbolisme et d’iconographie que j’ai jamais vu jusque là. J’adore voir un film qui me fait découvrir une façon de raconter une histoire que je n'ai jamais vu auparavant. 

Comment s’était passée votre collaboration avec Ladj Ly et Elias Belkeddar ? 
Ce fut une collaboration très fluide et nous nous sommes tous vraiment mis dessus pendant les premiers mois du Covid. Bizarrement, quand on pense que le monde va s'arrêter ou qu’on ne sait pas ce que ça va devenir, on peut écrire un film très ambitieux comme ça, parce qu’on se dit qu’il est possible qu’il ne se fera jamais, et qu’on aura jamais à vraiment faire ces plans séquences. C’est facile d'écrire, sur le papier, “on commence là, et on finit là.” Nous l’avons écrit un peu sans complexe et sans contrainte de faisabilité. Sauf qu'après, on a été greenlighté, et il fallait le faire. J’avais moins de cheveux blancs avant ce film. 

Vous ne vouliez pas plutôt aller dans l’autre sens pendant la pandémie, et faire un film plus petit et simple? 
En fait, j’en avais écrit deux ! Un tout petit, qui pouvait se faire avec très peu d’argent, et je pensais vraiment que c'était celui-là qui allait partir. Nous avons vraiment eu de la chance que les gens de Netflix lisent le scénario et nous disent “banco, on y va” et fassent le pari — parce que c'était un vrai pari — de nous faire confiance et de greenlighter le film.

Où avez-vous tourné ? 
Dans un quartier où la moitié était habitée, et l’autre allait être en démolition pour une réhabilitation. Ça nous a permis de tourner les scènes les plus compliquées loin des habitations mais, en même temps, d’avoir un quartier qui vit. J’avais besoin qu’il y ait de la vie et de pouvoir me projeter. Les trois quarts des habitants de la cité étaient impliqués dans le film, que ce soit dans des petits rôles, de la figuration, ou même à la décoration, à la régie. D’un coup, c'était devenu un peu une Cinecittà du 91. Et c'était intéressant parce que derrière la caméra, il y avait beaucoup d’amour, d’union et de fraternité entre l'équipe, les habitants, mais devant la caméra, c'était la guerre. 

Le film a des scènes d’action, des plans séquences, une dimension énorme, mais aussi beaucoup de close-ups sur les visages des personnages. 
C'était quelque chose de conscient. Nous avions envisagé le film comme quelque chose de très sensoriel, et donc il y a très peu d'explications sur les personnages. Dans un film traditionnel, on peut exposer les personnages, raconter d'où ils viennent, qui ils sont. Là, ça passe énormément par l’incarnation. C'était un peu, pour moi, le challenge du film, le point d’interrogation: les comédiens vont-ils pouvoir incarner ça de manière à pouvoir transmettre aux spectateurs ce qu'ils ressentent de façon interne, et qu’on puisse le lire sur leurs visages? Je trouve qu’ils ont été spectaculaires dans ce sens là, parce que le film a un côté plan large, impressionnant, mais les trois quarts du temps, on est sur des visages qui vivent intensément les événements en train de se dérouler. C'était vraiment ça l'idée: vivre avec eux en temps réel l’embrasement de ce quartier, et qu'on n'ait pas le temps de réfléchir comme eux n’ont pas le temps de réfléchir. Donc on est dans une espèce d'hystérie, on subit les événements comme eux les subissent dans le film. Mais par contre, et c’est là où je leur tire vraiment ma révérence, ils ont réussi à incarner énormément sans que moi j’ai à exposer qui ils sont, etc. Je pense qu’il y des gens qui peuvent rester dehors du film s’ils ne sont pas touchés par les personnages, on peut ne pas trop les comprendre; mais par contre, si vous agréez, là je pense qu’on embarque le spectateur. 

C’est un film Netflix, qui sera donc vu par la plupart des gens sur leur télévision. Mais même sans considérer le côté formel du film, que pensez-vous de sa chance d’avoir un impact culturel, similaire à celui de Bac Nord [+lire aussi :
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par exemple ?
La réponse est très simple: un film comme ça, c’est un pari, et sans Netflix, le film ne se serait pas fait. Ce n’est même pas une question de “plus gros budget.” Quand on veut faire un film, c’est assez simple. S’il y a des gens qui veulent parier sur vous et vous disent “on y va,” vous allez avec eux. Je dois dire que la collaboration a été assez extraordinaire, dans le sens ou ils m’ont laissé faire le film que je voulais, ce qui n’aurait pas forcément été le cas avec un guichet traditionnel. Mais évidemment qu’en tant que réalisateur, j’ai envie que les gens le voient sur le grand écran, ce que la chronologie des médias en France ne permet pas. C’est un système qui, d'après moi, devrait évoluer. Mais le film va exister en grand écran: il va faire une semaine à New York, une semaine à Londres. Maintenant, c’est un film qui marche aussi sur la télé, et il y a aussi le plaisir de savoir que le monde entier pourra le voir le même jour. Il y a du pour, il y a du contre, mais la réalité est que je n’aurais pas pu faire ce film sans Netflix. 

Allez-vous réaliser l'autre film que vous aviez écrit pendant la pandémie ?
Je ne pense pas, parce que c'était un film qui se serait tourné soit pendant la pandémie, soit non… Quand on écrit un film, c’est dur d’y revenir après, parce qu’il y a un élan, un momentum, un moment où on est excité par une histoire. Là, je ne sais pas encore ce que je vais faire après. Je vais dormir un petit peu. 

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