20/03/2023 - Le pilote des journées professionnelles du Festival Séries Mania décrypte la conjoncture de l’industrie de la série

Rencontre avec Francesco Capurro, le directeur du Séries Mania Forum (du 21 au 23 mars - lire la news), le volet professionnel du Festival Séries Mania (qui a démarré vendredi dernier à Lille – article).

Cineuropa : Quelles tendances avez-vous identifiées à travers le processus de sélection de vos Co-Pro Pitching Sessions ?
Francesco Capurro : Nous avons reçu 450 candidatures en provenance de 66 pays. C’est dire le volume de projets qui s’écrivent en ce moment partout dans le monde ! En termes de tendances, il n’y a pas d’énormes surprises : les genres thriller et polar sont encore largement dominants car on sait que cela fonctionne. On sent aussi qu’il y a un attrait fort pour les années 80-90, une période sur lesquelles les séries reviennent beaucoup actuellement. C’est vrai qu’en Europe, il y eu à cette époque des événements charnières comme la chute du Mur de Berlin, mais cette relecture de l’Histoire récente est peut-être aussi générationnelle, en lien avec l’âge des créateurs et des diffuseurs. Il y a également de nombreux personnages féminins, dans des rôles de protagonistes : c’est une tendance sociétale, un changement en marche que l’on retrouve dans la création au même titre que les enjeux écologiques ou climatiques qui sont souvent présents sous forme de dystopies ou d’anticipation parfois peu optimistes sur l’état de notre planète et sur ce qui nous attend. Car les séries reflètent le monde dans lequel on vit. Et pour répondre de manière plus large, au-delà des Co-Pro Pitching Sessions qui sont notre programme phare, nous avons beaucoup d’autres sessions de pitchs pendant le Forum, soit en conclusion des ateliers-résidences que nous organisons comme le Writers Campus, la résidence de co-écriture franco-israélienne, DEENTAL, etc., soit des initiatives partenaires comme les pitchs de Taïwan (avec TAICCA) ou d’Afrique (avec AuthenticA). Au total, ce sont plus de 45 projets qui seront pitchés sur trois jours : il y en a pour tous les goûts ! C’est la caractéristique du Forum : être un marché de développement où l’on vient repérer les projets.

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Comment composez-vous votre sélection des 16 projets du Co-Pro Pitching Sessions en termes des territoires de provenance ?
Nous nous donnons comme critère d’avoir une certaine diversité géographique car nous recevons des projets de partout et nous avons des acheteurs de partout. Mais c’est vrai que certains pays, notamment européens, nous envoient plus de projets, la France en tête évidemment puisque nous sommes basés en France, mais aussi le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne qui est en plein boom. Nous aurions pu choisir davantage de projets de ces pays car il y a beaucoup de qualité et des sociétés importantes, mais nous nous astreignions à garder un équilibre. Nous avons plus de projets européens en sélection dans la lignée de l’histoire du Forum qui a été soutenu dès ses débuts par MEDIA, mais nous recevons de plus en plus de projets extra-européen et un projet sud-africain et un canadien figurent cette année dans la sélection.

La conférence de presse de présentation du Festival Séries Mania a pointé "une production mondiale de séries tendant à une certaine uniformisation des storytelling". Partagez-vous cette analyse ?
C’est vrai qu’il y a une certaine uniformisation liée sans doute à certains standards. Typiquement, les enquêtes policières enferment souvent un peu les récits dans un canevas que l’on connaît. Un certain nombre de codes sont très présents, on sait qu’ils fonctionnent auprès des audiences mais ils brident parfois la créativité : on essaye de coller à des schémas, de les reproduire et c’est un cercle vicieux, sans doute à cause des enjeux très forts d’audience. Donc les projets qui sortent des sentiers battus sautent immédiatement aux yeux. Notre rôle, c’est aussi de mettre en lumière des propositions un peu plus originales, sans pour autant renier les thrillers car nous aimons cela.

Quid du jeune public ? avez-vous remarqué des évolutions en termes d’écriture pour viser plus spécifiquement cette audience ?
Les producteurs et les auteurs savent que les diffuseurs ont une volonté d’attirer les jeunes, et nous avons reçu davantage de projets ciblant les jeunes et les jeunes adultes : beaucoup de récits d’apprentissage, d’histoires d’adolescents qui découvrent la vie, leur sexualité, etc. C’est une tendance car c’est un vrai enjeu parce que le public des chaînes linéaires traditionnelles est plutôt vieillissant, les jeunes consomment des contenus d’autres manières, sur Internet, sur leurs téléphones. Il y a une réelle volonté de capter cette audience très volatile et cela se reflète dans les contenus qui nous sont proposés.

Série Mania Forum est également un riche espace de réflexion sur les enjeux majeurs de l’industrie, avec des conférences, des panels, les Dialogues de Lille, etc. Quels sont les sujets majeurs du moment ?
Cette année, nous avons privilégié un axe très fort sur le marketing des séries. La production a explosé, il y a maintenant beaucoup de concurrence et c’est difficile d’être vu : se démarquer est un enjeu très important. Certaines séries n’ont malheureusement pas la notoriété qu’elles mériteraient car elles sont noyées dans une offre pléthorique. Nous allons donc interroger des experts pour savoir quelles sont les meilleures techniques pour émerger sur ces marchés très concurrentiels, et nous avons également créé un prix pour une campagne marketing particulièrement créative et innovante qui sera remis pendant le Forum. Ensuite, il y a des enjeux plus industriels, par exemple liées à la défense de la propriété intellectuelle (IP) européenne notamment face aux plateformes globales. On peut aussi évoquer l’hybridation des genres, par exemple les passerelles entre le jeu vidéo et la série : on a vu avec le grand succès de The Last of Us sur HBO et Amazon Prime Video que les deux mondes convergent de plus en plus, la narration sérielle se prêtant bien, par sa longueur, son côté épisodique, etc. à la retranscription de jeux vidéo. Enfin, pendant Les Dialogues de Lille, notre journée un peu plus stratégique et institutionnelle, nous aborderons d’autres enjeux, davantage liés au futur de l’industrie et aux défis à venir, notamment la question de la transition écologique.