Kaouther Ben Hania • Réalisatrice de La Voix de Hind Rajab
“Tout comme les gens connaissent le nom d'Anne Frank, ils devraient connaître le nom de Hind Rajab”
par Jan Lumholdt
- VENISE 2025 : Après avoir reçu une standing ovation, la cinéaste tunisienne nous parle de sa reconstitution des événements qui ont entouré la mort de la fillette du titre

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Cineuropa : Dès les toutes premières projections de La Voix de Hind Rajab, les réactions, les émotions et bien sûr les opinions ont été très marquées. Quant à vous, les gens ont certainement envie de vous parler, que ce soit pour manifester leur accord ou leur désaccord. Êtes-vous prête à devenir une sorte de porte-parole, dans ce contexte très politique ?
Kaouther Ben Hania : Le propre du cinéaste est qu'il ne veut pas parler : nous aimons que le film parle à notre place. Mais puisque nous sommes là, parlons. Déjà, à ce stade, tout ce qui vient de se passer va bien au-delà de mes attentes quand j’ai commencé à travailler sur ce film. Ce qui s’est passé, hier, à la première du film, ça a été énorme, vraiment énorme : toute cette attention, le fait que le film soit à Venise, en plus en compétition... Quand j’ai commencé à travailler sur ce film, mon obsession principale, c'était d’honorer la voix de cette petite fille : je voulais qu’elle soit entendue. Et je pense qu’hier, dans la Sala Grande, on s'est mis, enfin, à entendre et écouter la souffrance et l'angoisse de Gaza, à travers cette petite fille.
Quand avez-vous décidé de créer ce film, et quand avez-vous entendu la voix qu'on entend dans l'audio pour la première fois ?
La Croix-Rouge avait mis en ligne un petit extrait, et quand j’ai entendu sa voix, c’est comme si elle me demandait à moi de l’aider : "Sauve-moi, sauve-moi !". Pour moi, c’est une Anne Frank de notre époque. Tout comme les gens connaissent le nom d'Anne Frank, il faut qu'ils connaissent le nom de Hind Rajab.
Au-delà de l'effet produit par sa voix, on est de plus en plus furieux, possiblement horrifié, de voir quelle bureaucratie compliquée entoure l’opération de sauvetage de la Croix-Rouge. Avez-vous ressenti quelque chose de similaire pendant vos recherches pour le film ?
Absolument, et bien sûr que je l'ai vécu. C'est en partie pour cela que j’ai choisi de raconter l’histoire en adoptant le point de vue des gens du centre d’aide. On se rend compte, à partir du moment où on comprend le mécanisme de coordination des opérations, que l’ambulance va se faire bombarder si elle n’est pas coordonnée comme il faut. Ainsi, vous êtes obligés de parler à l’armée qui est en train de tuer votre peuple d'une personne à sauver, une sur tout votre peuple. Une enfant est prise au piège, à huit minutes de l’ambulance, mais vous ne pouvez pas envoyer cette ambulance dans Gaza, sauf si vous voulez vous prendre un obus. Les Israéliens édictent les règles et les procédures, des procédures qui rendent la vie des Palestiniens impossible. C'est l’horreur au-delà de la malfaisance de cette situation.
Beaucoup vont voir La Voix de Hind Rajab comme une œuvre qui est instantanément un "film politique". Dans quelle mesure êtes-vous d’accord ?
Vous savez, ça tient au cinéma. Au cinéma, on n'a pas de slogans politiques, mais tout est politique. On choisit une histoire. On choisit ses personnages. Il s'agit d'empathie entre humains, et c’est ça qui fait du cinéma un médium puissant. La situation qu'on voit dans le film existe à cause de ce contexte politique. Pas besoin de débiter des slogans pour dire au public quoi ressentir.
En parlant de cinéma, est-ce que vous êtes inspirée d’autres films en créant celui-ci ?
Blow Out de Brian De Palma, Conversation secrète de Francis Ford Coppola et le film danois The Guilty [+lire aussi :
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fiche film] de Gustav Möller. Tous ces films m'ont inspirée.
Une opinion revient sur La Voix de Hind Rajab : c'est qu'il faut que ce film sorte maintenant, du moins le plus tôt possible. Comment ça se présente ?
Nous n’avons toujours pas de distributeur aux États-Unis, mais beaucoup de territoires européens ont signé et la semaine prochaine, le film sortira dans mon pays, la Tunisie. Ça a commencé.
Et en Israël ?
Le film et moi allons boycotter Israël jusqu’à ce que je puisse le montrer à Gaza.
(Traduit de l'anglais)
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