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SAN SEBASTIÁN 2025 Compétition

Arnaud Desplechin • Réalisateur de Deux pianos

"Il y a des films avec acteurs et des films sans acteurs, mais c'est toujours de la fiction"

par 

- Le réalisateur français nous offre son point de vue sur son nouveau film, rempli de musique, de suspense et de mélodrame, sur le cinéma en général et sur l’actualité

Arnaud Desplechin  • Réalisateur de Deux pianos
(© Iñaki Luis Fajardo/SSIFF)

Rencontre avec Arnaud Desplechin, qui après avoir été régulièrement sélectionné à Cannes et à Venise, rallie pour la première fois la compétition du Festival de San Sebastian avec son nouveau film, Deux pianos [+lire aussi :
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, interprété par François Civil et Nadia Tereszkiewicz.

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, qui était un film sur le cinéma réflexif et expérimental, vous revenez au cinéma de fiction. Y a-t-il des différences entre ces deux types de films pour leur créateur ?
Arnaud Desplechin :
Les deux films ont été écrits en même temps. Spectateurs ! a demandé moins de travail parce que comme il contient beaucoup d'extraits, c'était un film de montage. Pendant ce temps-là, je préparais Deux pianos. Ce que j'aime faire, c'est raconter des histoires. Même dans Spectateurs !, j'arrive à inventer de la fiction. Je ne crois pas qu’il y ait de grandes différences entre les deux types de films. Par exemple, il y a un immense metteur en scène qui est classé comme documentariste, qui est Frederick Wiseman, or quand je vois ses films sur les institutions américaines puis la série The Wire, je me dis qu'elle a été faite par des étudiants en cinéma qui se sont inspirés de lui. Alors, c'est quoi la différence ? Disons qu'il y a des films avec acteurs et des films sans acteurs, mais c'est toujours de la fiction.

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Vous êtes un réalisateur très cinéphile. Avez-vous pensé à certains films en particulier en faisant Deux pianos ?
Oui, bien sûr. Au début, le projet s'intitulait Elle et lui, en hommage au film de Leo McCarey (mais la première version, celle en noir et blanc, que je préfère à la version en couleur qu’il a tournée après). Il m'a beaucoup inspiré, de même qu'un autre film qui me bouleverse : Le Temps de l'innocence de Martin Scorsese. Les sentiments vécus par les personnages, dans ces situation d'amour impossible, ont beaucoup nourri l'écriture de ce film, mais je ne voulais pas les revoir, parce que je voulais qu'on invente quelque chose de différent.

Qu'est-ce qui vous a amené à vouloir raconter cette histoire ?
Le film est né d'une nouvelle collaboration avec le scénariste américain Kamen Velkovsky, qui l'a coécrit avec moi. Je ne parle pas l'américain, et il ne parle pas le français, alors on s'entend parfaitement [rires]. Il m'a raconté l'histoire d'un pianiste qui revient dans sa ville natale et voit dans le visage d'un enfant son double. C'était comme un conte fantastique. Je lui ai de mon côté raconté une autre histoire : celle d’une très jeune veuve qui vient de perdre son mari. Du coup, on avait un mélodrame et un film fantastique – je pourrais dire que le mélodrame est plein de fantômes –, et ça m'a paru formidable, parce que le mélodrame est un genre que j'aime beaucoup.

C'est un film sur l'amour et le couple. À un moment du film, Claude [Nadia Tereszkiewicz] dit qu'elle aimait les deux hommes entre lesquels elle était partagée. Si on entendait moins étroitement la notion de couple, la vie serait-elle plus libre pour tous ?
Je ne pourrais pas vous dire, à cause de mon âge. Je suis né en 1960, alors quand j'entends mon fils dire que son couple est libre, je pense ok, mais on dit la même chose depuis 1968. Dans ce film, mon sentiment est que l'amour a besoin de se réaliser. Il y a des fois où on peut aimer quelqu'un infiniment, et ce n'est pas possible. Ce à quoi il faut renoncer, ce n'est pas l'amour, mais la possession. Claude aimait être la "femme de...", et puis d'un coup, elle se rend compte qu'elle existe par elle-même et qu'elle a changé. Elle va finit par se conquérir elle-même, prendre conscience qu'elle a du pouvoir, et ça, c'est la plus belle chose qui puisse arriver à un personnage féminin. Pour moi, c'est un motif hyper important dans le film.

Pourquoi situer l'histoire dans le milieu de la musique ? Y a-t-il un lien entre les exigences du métier de musicien et celles de l'amour ?
Il y a de ça, mais il y a autre chose encore : la solitude. Tous les personnages sont très seuls, or la musique apaise et adoucit les chagrins. J'ai trouvé bien que Mathias [François Civil] soit musicien, parce que ça veut dire qu'il sent de l'amour pour quelque chose. Grâce à la musique, quelque chose en eux est réconcilié. Je fais partie des cinéastes qui pensent que les films nous réconcilient avec la vie. D’ailleurs, la musique aussi raconte des histoires, elle n'est pas juste décorative. La musique ajoutait un certain suspense dans le film.

Vous brossez aussi ici un merveilleux tableau de la communauté juive en France, alors que ce n'est pas un moment facile pour ce genre de choses, vu la manière dont Israël se comporte.
Pour la scène de l'enterrement, je tenais à ce que tous les figurants soient juifs. Une des figurantes m'a écrit un petit mot disant : "En ce moment, c'est compliqué d'être juif, mais avec vous, on a eu l'impression que c'était une bonne chose". C'est le plus beau des compliments qu'on puisse me faire. Le monde vit un moment de guerre qui est dur de quelque bord politique qu'on soit –  chacun a le droit d'avoir ses opinions. La situation israélienne semble impossible à résoudre. Et puis, il y a l'Ukraine, les avions qui survolent l'Estonie, etc., et on n'a pas de solution pour ça non plus. Et puis d'un coup, alors qu'on vous pose une question à laquelle vous n’avez pas envie de répondre, la musique fait irruption et vous dit de vous enfuir. Faites comme mes personnages à la fin du film : détalez, sauvez votre peau. Quand une question ne m'intéresse pas, je prends mes jambes à mon cou. C'est ça, ma position politique : la fuite.

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