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SAN SEBASTIÁN 2025 Compétition

Claire Denis • Réalisatrice du Cri des Gardes

"La colonisation d’aujourd’hui est autre, et s'appelle le capitalisme"

par 

- La réalisatrice française nous parle des origines de son nouveau film et des sujets qui ont le plus marqué sa carrière

Claire Denis • Réalisatrice du Cri des Gardes
(© Álex Abril/SSIFF)

La réalisatrice française Claire Denis nous parle des origines de son nouveau film Le Cri des Gardes [+lire aussi :
critique
interview : Claire Denis
fiche film
]
, projeté en compétition au 73e Festival de San Sebastián, et des sujets qui ont le plus marqué sa carrière.

Cineuropa : Pourquoi cette pièce et pourquoi maintenant ?
Claire Denis :
Isaach de Bankolé et Bernard-Marie Koltès étaient très amis. Quand j'ai fait mon premier film, Chocolat, avec Isaach, Bernard est venu sur le tournage, au Cameroun. On parlait toujours d'écrire un scénario ensemble, mais Bernard est devenu malade du sida, et il était fatigué. Avant sa mort, il m'a dit : "Écoute, il faut que tu adaptes cette pièce, Combat de nègre et de chiens". J'ai dit oui, mais dans ma tête, je me disais que non, que je n'en serais pas capable, que ce serait trop triste, trop dur. Et puis les années ont passé et j'ai dit à Isaach : "Allons-y, faisons-le". L’œuvre de Koltès était très importante pour nous, et pour les jeunes en France. Il parlait du monde, pas seulement de la France. Il aimait le Guatemala, le Mexique, le Nigeria… C'était une étoile filante.

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Dans votre œuvre, vous aussi vous parlez du monde et pas seulement de la France...
Bernard était fils de militaire. Les militaires voyageaient beaucoup. Lui et moi, on avait toujours envie de partir. Je ne crois pas avoir parlé du monde, mais partir à la découverte, je trouvais ça formidable. 

Tout au long de votre carrière, comme dans ce film, vous avez parlé du colonialisme.
"Colonialisme", c'est un mot compliqué, parce qu'il recouvre une réalité différente aujourd'hui. C'est le monde de l'économie qui pratique le colonialisme maintenant. Donc quand on parle du colonialisme que j'ai connu dans mon enfance et du fait qu'on prend à l'Afrique ses métaux précieux, son pétrole etc., c'est différent. C'est un autre type de colonisation, qui s'appelle en fait le capitalisme.

On est en fait train d'être témoin d'un grand conflit qui vient du colonialisme aussi : le conflit israélo-palestinien.
Oui, on peut dire que les Palestiniens sont colonisés, mais ce qui se passe en Israël et en Palestine est plus le résultat de la Seconde Guerre Mondiale et de l'horreur de la Shoah. Tous les sionistes se battaient pour ça, au début du XXe siècle, et l'Europe s'est soudain dit qu'elle devait faire quelque chose. Peut-être que le mythe d'un Israël et d'une Palestine qui vivraient côte à côte... n'allait pas être vraiment possible. À présent, on reconnaît l'État palestinien, mais il est important qu'on le fasse officiellement. Peut-être que c'est la guerre qui a fait qu'on a passé ce cap. Entre cette guerre, et celle d’Ukraine dans laquelle des milliers de gens sont en train de mourir, c'est comme si on portait nous le poids d'une responsabilité très lourde. On vit une époque difficile.

Récemment, il y a eu un mouvement pour une représentation plus juste de la carte du monde, pour abandonner sa version traditionnelle et adopter la projection Equal Earth, qui représente plus exactement l’Afrique.
L'Afrique est un continent énorme qui a toujours été au centre du monde, comme l'Amérique du Sud. L'hémisphère sud est toujours vu comme plus petit, alors que ce n'est pas vrai.

Est-ce qu'évoquer ce genre de sujets, qui sont assez compliqués pour l'Occident, vous a fermé des portes ?
Je ne pense jamais à ça. Peut-être que si je savais faire des comédies, ça m'ouvrirait plus de portes, mais on n'a qu'une vie. On fait ce qu'on doit faire.

Dans le film, le personnage féminin est le seul qui montre de la vulnérabilité, qui réfléchit, qui se pose des questions. Ce n'est pas tellement le cas des personnages masculins.
Elle n'aurait jamais imaginé se retrouver en prison. Quand on regarde les documentaires sur l'Afrique, on voit les animaux, la nature... Elle imaginait une sorte de paradis. Cela dit, je ne suis pas si sûre que ça que les hommes n'aient pas cette vulnérabilité. Je pense qu'ils sont là, qu'ils travaillent sur les plateformes de pétrole ou les mines, des métiers rudes qu'on préfère faire faire aux hommes, alors ils sont un peu comme une petite armée. Ils se disent "Bon, je va faire ça dix ans, me faire de l'argent et rentrer chez moi", donc ils n'ont pas avec le pays où ils travaillent un rapport à travers lequel ils vont changer. Les personnages masculins sont enfermés dans cet espace-là, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne sont pas vulnérables, au contraire, même. Ils vivent une vie qu'on pourrait qualifier de supermasculine, disons, et donc qui ne tient pas compte de leurs sentiments, mais ils en ont.

Vous avez souvent dépeint des univers supermasculins. Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans ce genre d'environnement ?
Ils m'ont intéressée parce que je vivais dans un monde dirigé par des hommes, y compris celui du cinéma à l'époque, quand j'ai commencé.

Ce film est le premier réalisé par une femme que produit par Saint-Laurent. Pensez-vous avoir ouvert des portes, au fil de votre carrière ?
Sans Saint-Laurent, ce film n'aurait pas pu voir le jour. Ils se sont avérés être des alliés formidables. Je ne me suis jamais vraiment dit que j'avais ouvert des portes, je me suis dit qu'ils avaient rendu possible la réalisation de ce film. C'est toujours dur de trouver des financements, mais je crois que c'est normal. Si vous me dites que j’ai ouvert des portes, tant mieux, mais je ne me vois pas comme un modèle pour les autres.

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