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Yvon Thiec

Directive sur les services dans le marché intérieur

par 

- Quels sont les enjeux de la Directive Services sur le secteur audiovisuel ? Yvon Thiec, délégué général d'Eurocinema, nous en dit plus sur les arcanes de cette Directive controversée.

La proposition de "Directive Bolkestein", visant à libéraliser le marché européen des services, constitue l'une des principales initiatives prises par la Commission dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Présentée au mois de janvier 2004, elle a très vite été l'objet de nombreuses attaques, plusieurs organisations et formations politiques redoutant notamment que le texte n'ouvre la porte à des pratiques de "dumping social". Cineuropa a rencontré Yvon Thiec, Délégué Général d’Eurocinema qui s’exprime sur l’impact de la Directive sur le secteur Audiovisuel.

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La Directive couvre-t-elle les services audiovisuels ?

L'exposé des motifs de la directive indique que la définition des services, telle qu'établie à l'article 2 ("les services fournis par les prestataires établis dans un Etat membre") et à l'article 4.1 qui définit un service "toute activité économique non salariée consistant à fournir une prestation qui fait l'objet d'une contrepartie économique", couvre pleinement les services audiovisuels.

Quels sont les conséquences de la Directive sur le secteur audiovisuel ?

Il faut faire quatre remarques de portée générale.

1) Il convient de remarquer l'objet particulièrement large recherché par la directive Services : "la proposition de directive a pour objet de supprimer les obstacles juridiques à la liberté d'établissement des prestataires et à la libre circulation des services".

2) D'autre part, cette préoccupation exclut la prise en compte de toute autre préoccupation de valeur sociale, éducative et culturelle. Or, les services audiovisuels ne peuvent pas être réduits exclusivement à un service économique, à une prestation de marché, dès lors qu'ils incluent des composantes destinées à valoriser la diversité culturelle, le pluralisme des contenus culturels.

3) La proposition de directive à l'examen tend à gommer les particularités des services en leur conférant des caractéristiques communes. Ainsi, un film de cinéma, une police d'assurance, des transports de fonds, les jeux de hasard, sont la même chose au regard de cette directive.

4) Parallèlement, la directive Services prévoit deux séries de dérogations à son champ d'application. La première question qui se pose est de savoir pourquoi certains secteurs d'activités (finance, télécoms, transport…) relevant des services vont continuer à relever d'une législation sectorielle et d'autres pas. Les services audiovisuels sont couverts par une série de textes communautaires qui aboutissent à la création d'une législation communautaire sectorielle cohérente.

Comment la Directive Service pourra co-exister avec la Directive Télévision sans frontières ?

La Directive sur les services dans le marché intérieur fragilise la Directive télévision sans frontières (directive 89/552/CEE modifiée par la directive 97/36/CE).

La proposition de directive dite Services ne garantit pas la faculté actuellement offerte aux Etats membres de continuer à bénéficier de l'article 3 de la directive Télévision sans frontières, c'est-à-dire de prévoir des règles plus strictes en matière de quotas de diffusion d'œuvres européennes ou de production indépendante. On peut dès lors craindre que la directive Services vise à remettre substantiellement en cause les compétences nationales que la directive Télévision sans frontières, elle, consacre explicitement.

Quels sont les autres domaines touchés par la Directive Service ?

La Directive Service touche les compétences exercées par les Etats membres en matière de contrôle de propriété des médias, d'octroi de licences de radiodiffusion, de règles de must carry et de chronologie des médias qui constituent autant de règles sans lesquelles les services audiovisuels ne sauraient fonctionner et se développer et qui traduisent par ailleurs la "spécificité" des services audiovisuels. En particulier :

Services cryptés

Dans les travaux préparatoires à la directive Services, la Commission indique qu'une barrière à la libre prestation de services transfrontalière est constituée par les pratiques de cryptage de programmes des chaînes de télévision pour éviter la réception de ces programmes hors de l'Etat membre où le radiodiffuseur est établi. Un changement des pratiques pourrait affecter en profondeur le système de remontée des recettes. En effet, le radiodiffuseur acquiert les droits pour cette zone géographique et pour la version linguistique pertinente. S'agissant de programmes exclusifs (films), ces programmes sont vendus territoire par territoire de façon à permettre une exploitation adéquate et une maximisation des recettes.

Chronologie des médias

La chronologie n'est pas coordonnée pour l'ensemble du marché intérieur européen: il n'y a pas une sortie simultanée du même film sur tous les territoires, c'est-à-dire l'ensemble du marché intérieur.

Chaque territoire ordonne le début de l'exploitation de l'œuvre. De même, la chronologie peut être d'une durée différente selon les territoires concernés (de un an à trois ans). Ceci dépend du nombre de "fenêtres" d'exploitation. A chaque fenêtre est garantie une durée d'exploitation raisonnable.

Dans la directive Télévision sans frontières (97/36/CE du 30 juin 1997), ce mécanisme extrêmement complexe et fragile est garanti par l'article 7 qui organise la chronologie des médias sur base contractuelle.

La chronologie des médias, telle que validée par la directive Télévision sans frontières, s'analyse cependant comme une pratique à laquelle la directive Services veut mettre fin.

Must carry

Cette disposition légale entraîne – à la charge des câblodistributeurs – l'obligation de diffuser certains services de télévision afin de contribuer au pluralisme des programmes.

La proposition de directive Services semble remettre en cause cette obligation. En effet, le considérant 34 (page 37) de la directive Services statue que : "doivent être examinées les exigences telles que les régimes prévoyant une obligation de diffuser ("must carry") applicables aux câblo-opérateurs qui, en imposant à un prestataire de service intermédiaire l'obligation de donner accès à certains services de prestataires particuliers, affectent son libre choix, les possibilités d'accès des programmes radiodiffusés et le choix des destinataires finaux".

Quels solutions ou modifications apporteriez-vous à la Directive Services ?

La Commission se borne à mentionner que la directive Services ne porte pas atteinte à la directive Télévision sans frontières. Or, du cumul d'un principe "fort" tel que la directive Services et d'un principe plus nuancé tel que la directive Télévision sans frontières, il est patent que seul le principe fort triomphe au détriment du principe faible. C'est pourquoi il convient de revenir à l'article à la formulation classique du droit communautaire : "la présente directive s'applique sans préjudice des directives existantes".

Il est nécessaire de considérer que l'instrument sectoriel en matière audiovisuelle pour le marché intérieur, en l'occurrence la directive Télévision sans frontières, s'applique de manière exhaustive et prioritaire, ce qui exclut l'application des règles horizontales fixées par la directive relative aux services.

Dès lors qu'il subsisterait des entraves juridiques (en dehors des barrières linguistiques et culturelles) au développement du marché intérieur des services audiovisuels, la révision à venir de la directive "Télévision sans frontières" (et de la directive sur le droit d'auteur pour le satellite/câble) offrirait l'occasion de traiter de ces questions.

De ce fait, une disposition de dérogation des services audiovisuels du champ de la directive Service devrait être prévue. Elle devrait couvrir tant les services de radiodiffusion audiovisuelle que les services de radio (sonores) et les services de cinéma.

Une clause de sauvegarde devrait également figurer afin d'établir explicitement le respect de la compétence des Etats membres dans le domaine de la culture et des médias.

"La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prises au niveau communautaire ou au niveau national, dans le respect du droit communautaire, pour promouvoir la diversité culturelle et linguistique et assurer la défense du pluralisme".


Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen « l’Etat du marché intérieur des services

Proposition de directive

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