email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

FILMS Danemark

Nymphomaniac - Volume 1 : un puzzle mental très physique

par 

- La romanesque vie sexuelle d'une jeune femme sous forme de chemin de croix à lecture ésotérique pour le virtuose, provocateur et torturé Lars von Trier

Nymphomaniac - Volume 1 : un puzzle mental très physique
L'actrice anglaise Stacy Martin dans Nymphomaniac

Ensanglantée, le visage constellé d'ecchymoses et étendue sur le sol dans la position exacte du Christ crucifié au tout début de Nymphomaniac - Volume 1 [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Louise Vesth
fiche film
]
, Joe, l'héroïne du nouveau film de Lars von Trier s'inscrit dans la lignée des figures féminines sacrificielles, (auto)destructrices et en quête de rédemption si familières de l'univers convulsif du cinéaste danois, de Bess (Breaking the Waves) à Elle (Antichrist [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Lars von Trier
fiche film
]
), en passant par Selma (Dancer in The Dark) et Grace (Dogville [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
).

"Je suis une personne mauvaise", "c'est de ma faute" : les confessions de Joe (Charlotte Gainsbourg dont la voix off accompagne les flashbacks sur la jeunesse de son personnage incarné par Stacy Martin) annoncent d'emblée la tonalité torturée du film au terme d'une séquence d'ouverture magistrale passant de l'obscurité à une neige tombante et fondante en une eau dégringolant sur des labyrinthes de cours dénudées cernées de hauts murs. Dans cette solitude totale, Joe est découverte par Seligman (Stellan Skarsgard) dont le nom signifie "le bienheureux", un homme ouvert et tolérant, mélange de psychanalyste, de vieux sage et d'envoyé des puissances célestes, qui va écouter le récit d'une tumultueuse vie sexuelle et sentimentale, tout en distillant un niveau de lecture plus insolite. Des incursions dans l'occulte, la métaphysique, le panthéisme et la mythologie (le frêne et ses bourgeons noirs des légendes nordiques), les mathématiques (la suite de Fibonacci et le nombre d'or), la musicologie (le triton dit l'accord du diable; Bach et la polyphonie) et la littérature (La chute de la maison Usher de Edgar Allan Poe) qui font de Nymphomaniac - Volume 1 un puzzle mental complexe (voire détraqué) sous ses allures de portrait sexuel provocateur.

En cinq chapitres (sur les 8 que les deux parties du film compteront au total, un nombre dont les significations ésotériques renvoient au mal - le tristement célèbre 88 - et au bien - le 888 de la résurrection) se dessine la spirale d'addiction sexuelle dans laquelle Joe s'abîme. Le premier chapitre "Le parfait pêcheur à la ligne" (inspiré par le livre éponyme d'Izaac Walton) retrace les premiers émois érotiques de l'enfance de Joe, son dépucelage humiliant, ses expériences sauvages et compétitrices à l'adolescence ("les habits baise-moi vite"), la découverte des stratagèmes et du pouvoir sur les hommes, la recherche du plaisir. Le second chapitre ("Jérôme") évoque la tentation ratée de l'amour et ses conséquences (intensification de la chasse à l'homme, études morphologiques au "pays des bites"). Puis survient le face-à-face avec une victime, une femme trompée, dans le troisième chapitre ("Madame H."; la 8ème lettre de l'alphabet) où Joe s'enfonce dans la nymphomanie, la solitude intérieure et l'insensibilité ("un large cercle d'hommes que j'avais du mal à identifier", "on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs"). Suivent les phases de "Delirum" (la folie et la mort du père) et de "La petite école d'orgue" (l'organisation d'une vie sexuelle à huit hommes par nuit, la sensation de vivre en cage et le déchirement de l'âme en trois illustré par du "split screen") avant que l'amour Jérôme ne ressurgisse et que Joe ne se rende compte à son grand désespoir qu'elle "ne sent plus rien".

Oeuvre passionnante en dépit du côté un peu fourre-tout de son sous-texte occulte et de quelques provocations inutiles glissées par Lars von Trier sur la question de son prétendu antisémitisme, Nymphomaniac - Volume 1 est une nouvelle démonstration de virtuosité d'un cinéaste écartelé entre la chair et l'esprit, un grand artiste perturbé travaillant sur la frontière chaotique des notions de bien et de mal, un réalisateur navigant du groupe de métal allemand Rammstein au bruissement des feuilles dans le vent. Tout un programme nourri et rongé d'excès (jusqu'à l'ultime coquetterie préalable de préciser que le film est une "version courte et censurée", "sans implication de sa part") qui va déferler dans les salles européennes à partir du 25 décembre. 

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy