08/09/2017 - TORONTO 2017 : Plongée rapprochée au coeur de la délocalisation pour Gaël Morel dans le sillage d'une ouvrière interprétée magnifiquement par Sandrine Bonnaire

"Je ne suis pas certaine que vous gagnez quoi que ce soit à partir là-bas." C'est une responsable des ressources humaines assez perplexe qui accueille l'intérêt d'Edith pour une proposition de reclassement au Maroc au lieu de toucher ses avantageuses indemnités de licenciement. "J'aimerais beaucoup !" insiste pourtant l'ouvrière française de 45 ans dont l'atelier de textile va bientôt fermer ses portes, le groupe pour lequel elle travaille depuis bien longtemps poursuivant sa logique de délocalisation. Tel est le point de départ de Prendre le large [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] de Gaël Morel qui fait aujourd'hui sa première mondiale dans la section Special Presentations du 42^e Festival de Toronto. En renversant l'habituel paradigme de l'immigration économique, le réalisateur français (connu notamment pour A toute vitesse et Après lui [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], passés par la Quinzaine des réalisateurs cannoise 1996 et 2007) réussit à la fois un film social édifiant, une oeuvre délicate sur les différences culturelles et l'humanité commune, et un portrait de femme émouvant auquel Sandrine Bonnaire apporte tout son talent et l'expressivité de son visage. 

Veuve habitant dans une maison isolée de la campagne française, Edith n'a rien pour vraiment la retenir en France. La communication est très compliquée avec son fils unique (Ilian Bergala) parti à Paris, et elle est désabusée par rapport aux luttes sociales ("je ne crois plus à tes beaux discours, l'union fais la force, tes conneries de syndicaliste"). Sans travail, son existence se racornirait encore davantage et elle caresse le rêve d'une nouvelle vie, refusant de se faire influencer par l'inquiétude de Nadia (Lubna Azabal), sa seule véritable amie à l'usine qui est d'origine marocaine : "ce n'est certainement pas mieux qu'ici. Et l'Islam ? Tu es une femme. Et le travail est très dur". Voilà donc Edith traversant le détroit de Gibraltar et s'installant à Tanger dans une petite pension conseillée par Nadia et tenue par Mina et Ali, une divorcée et son fils (Mouna Fettou et Kamal El Amri). Dans une ville transpercée de chantiers, voire dangereuse pour celle qui est vite surnommée "La Française", Edith va découvrir la réalité épuisante du travail et les coutumes locales, et aller de mésaventures désagréables en désillusions brutales, s'efforçant cependant de sauver la face alors que la situation s'assombrit de plus en plus en dépit de l'amitié naissante que lui témoignent Mina et Ali...

Ancré en permanence sur son personnage principal et explorant sur ses traits la moindre inflexion de ses émotions, Prendre le large est un film touchant avançant avec sincérité et sans complications narratives (sur un scénario écrit par le réalisateur avec l'écrivain Rachid O.) dans son sujet, ce qui ne l'empêche pas de brosser, en distillant les informations, un tableau crédible de la condition ouvrière et de la vie quotidienne (par exemple avec la réforme du code de la famille facilitant le divorce ou ces bus de transport affrétés gratuitement par des organisations islamistes...) au Maroc. Mais cette traversée du miroir de l'immigration économique est surtout l'occasion d'admirer en action une grande actrice.

Produit par TS Productions, Prendre le large sera distribué en France le 8 novembre par Les Films du Losange. Les ventes sont assurées par Doc & Film International.