25/09/2019 - La réalisatrice japonaise installée à Varsovie Mariko Bobrik propose un film exquis sur la nourriture, l'identité et les temps modernes

"Nous vivons en Europe, ici, on ne mange pas de riz tous les jours !". L’intégration passe aussi par la nourriture dans le premier long-métrage de la réalisatrice japonaise installée à Varsovie Mariko Bobrik, The Taste of Pho [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], présenté en première mondiale au 67e Festival de San Sebastian, dans la section Cinéma culinaire. Aux plats typiquement vietnamiens que lui prépare soigneusement son père Long (Thang Long Do) chaque matin pour son panier-repas à l’école, la jeune héroïne du film, Mia (Lena Nguyen), préfère de loin un bon sandwich au jambon. Et quand on voit que même la jupe plissée que Long repasse chaque jour avec amour pour sa fille est remplacée par une paire de jeans déchirés à peine a-t-elle passé le coin de la rue, on comprend qu'entre le père et la fille, un conflit se joue.

Si on souligne "chaque matin", "chaque jour", ce n’est pas par hasard : c'est précisément dans la routine quotidienne que nous fait entrer la réalisatrice, née à Fukuoka et diplômée de l'École de cinéma de Łódź. Tout est dans les petits gestes qui se répètent identiques jour après jour, avant d’aller à l’école et au travail, dans le foyer de cette famille tronquée. L'affectueux Long, veuf d’une belle femme polonaise qu'on aperçoit en photo, essaie également de garder vivante son identité (en Pologne, les Vietnamiens sont une des minorités ethniques les plus représentées) à travers le travail qu’il fait : il est cuisinier dans un restaurant vietnamien dont la grande spécialité est le Phô, une soupe typique à base de viande, de légumes et de nouilles.

Long est content de vivre en Pologne, il est content de son travail, mais il semble rester en retrait par rapport à la modernité : il s’obstine à réparer les choses plutôt que les changer (sauf qu’on ne fait plus depuis longtemps les pièces de sa vieille machine à laver), il est convaincu que les jeunes filles portent encore des jupes plissées et quand le nouveau propriétaire du restaurant où il travaille change le menu et lui impose de faire un plat de sushi, il a du mal à se plier à sa requête ("Mais je ne suis pas japonais..."). Sa fille, au contraire, est parfaitement intégrée et sa seule préoccupation est que son père puisse oublier sa maman décédée, en complicité, peut-être, avec la sympathique voisine Kasia (Aleksandra Domańska), que la gamine espionne en cachette.

Histoire d’identité et de nourriture, d’amour et d’incompréhension, de travail et de temps modernes, ce film est une petite tranche de vie quotidienne qui exprime le conflit intime de quelqu’un qui vit loin de ses racines de manière très délicate. Partagé entre intégration et tradition, l'affable Long s'accroche aux saveurs de sa terre d'origine, mais cuisiner des plats thaï ou des kebabs ne vont pas suffire à l’éloigner de la personne qu’il est vraiment. Le regard de Mariko Bobrik est discret et original ; il encadre les objets, les visages mais aussi les corps, et les plats fumants. Il faut aussi noter les belles musiques originales composées par la pianiste et compositrice de jazz japonaise installée à Berlin Aki Takase, une touche de légèreté qui dédramatise au bon moment.

The Taste of Pho a été produit par la société allemande Rohfilm Productions avec la polonaise Lava Films, en coproduction avec Opus Film (Pologne) et avec le soutien du Medienboard Berlin-Brandenburg, du Polish Film Institute et du Lodz Film Fund. Les ventes internationales du film ont été confiées à New Europe Film Sales.

(Traduit de l'italien)