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CINÉMA DU RÉEL 2020

Critique : Chronique de la terre volée

par 

- Victorieux de la compétition française du Cinéma du réel, le film de Marie Dault s’immerge dans un "barrio" de Caracas entre survie et quête d’une existence officielle

Critique : Chronique de la terre volée

"Je me bats pour survivre ici. Si Dieu le veut, on ne me sortira d’ici que les pieds devant." Au fil du temps, sur les collines de Caracas, se sont installées des cabanes précaires, des enchevêtrements de câbles électriques, des familles démunies, agrandissant progressivement la capitale vénézuélienne d’autant de quartiers informels, inconnus du cadastre et hors la loi en termes de propriété légale. Une croissance urbaine sauvage qui s’inscrit dans une longue tradition de lutte révolutionnaire et auquel le président Hugo Chávez avait donné une onction officielle en 2002, en encourageant le peuple à occuper les terrains constructibles de la cité et en organisant un processus administratif de possible acquisition des titres des propriété.

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C’est au cœur de l’un de ces quartiers, le "barrio" Brisas de la Santa Cruz, que la réalisatrice Marie Dault s’est immergée pour Chronique de la terre volée, un documentaire empathique et socio-historiquement très instructif, récompensé par le prix Institut Français - Louis Marcorelles remis au meilleur film de la Sélection Française du récent 42e Festival Cinéma du réel.

"Il faut qu’on continue : on n’a pas le choix. Où s’installer sinon ? J’habite ici parce que je n’ai nulle part où aller. On est tous dans la même situation". Nous sommes en 2015, deux ans après la mort de Chávez, un véritable mythe dans les quartiers populaires de Caracas, et la situation économique et politique se tend sous la présidence de son successeur Nicolás Maduro. Pour le millier d’habitants du "barrio" Brisas de la Santa Cruz, né une douzaine d’années auparavant, il y a urgence à se saisir du décret sur la Redistribution des Terres Urbaines ("pour que les propriétaires ne puissent pas nous mettre dehors" quand les révolutionnaires ne seront plus au pouvoir"). Les réunions locales s’enchaînent pour constituer un dossier conforme à déposer à l’Institut des Terres Urbaines (auprès de l’encourageant Hector) afin que l’État puisse ensuite négocier au tribunal avec l’entreprise officiellement détentrice des terres. Il faut donc dessiner le plan d’un quartier chaotique (avec ses constructions emboitées les unes dans les autres et ses escaliers tortueux à flanc de colline - "notre barrio, c’est le Haïti du nord-ouest de Caracas"), entériner des statuts, voter des Règles de vie en communauté, et surtout rassembler le maximum de témoignages recensant la chronique du lieu (savoir comment les habitants sont arrivés là et tout ce qu’ils ont bâti). Un travail de fourmi surtout mené par un groupe de femmes aiguillonnées par l’infatigable Keyla, une fervente partisane de la révolution. Mais il faut aussi continuer à vivre au quotidien alors que l’économie du pays s’effondre, que beaucoup fuient vers la Colombie, le Brésil ou l’Équateur, et que le régime s’éloigne de plus en plus des idéaux du chavisme…

En injectant régulièrement dans sa captation contemporaine de passionnants récits tirés d’anciennes chroniques de quartiers illustrés par des images d’archives de Caracas (une ville visuellement spectaculaire), Marie Dault réussit habilement à faire comprendre les profondes racines de la foi révolutionnaire qui anime encore les "barrios". Un filtre historique (de la colonisation espagnole face aux Indiens Toromaïmas jusqu’aux émeutes de la faim de 1989, en passant par l’exode rural et l’industrialisation du pays dans le sillage de la manne pétrolière au milieu de XXe siècle) qui donne de l’ampleur et des nuances à la restitution empathique (marquée à l’évidence par une grande proximité idéologique avec son sujet) d’un microcosme incarné par son personnage principal, une femme idéaliste, énergique et sympathique, emblématique de l’âme intemporelle du peuple des "barrios" ("nous avons fait de cette colline un foyer de résistance").

Chronique de la terre volée a été produit par les Laurent Alary pour Tell Me Films et Eric Jarno pour Pays des Miroirs.

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