09/11/2022 - Le troisième long-métrage documentaire de l’Ukrainien Korney Gritsyuk est dédié, comme son film précédent, à la région du Donetsk

Eurodonbas [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Korney Gritsyuk
fiche film] de Korney Gritsyuk, qui vient de participer au Festival de Cottbus, commence par des plans filmés par drone. Le spectateur peut y voir le territoire du Donbass, dont il sait qu'il est l’épicentre de l’industrie du charbon et qu'il est partiellement occupé, depuis 2014, par des séparatistes russes. Il y a 120 ans, la ville de Iouzovka a été fondée dans ce qu'on appelle à présent l'oblast de Donetsk par John James Hughes, un Gallois qui s'est installé dans la région avec pour objectif de l’industrialiser (et dont la ville tenait son ancien nom, Iouz étant la transposition phonétique de Hughes). Là-bas, les maisons ont été bâties pour les employés des mines, mais maintenant, ces anciens bâtiments ne correspondent plus à l’architecture urbaine née principalement pendant l’ère soviétique. Depuis 1961, la ville s'appelle Donetsk et personne ne se souvient de John James Hughes, quoiqu'un monument ait été érigé en son honneur au centre de la ville et qu’un bar populaire porte son nom.

Ce film de Gritsyuk (à qui on doit également le documentaire Train: Kyiv-War, qui parlait aussi du Donbass) est avant tout un appel à la déconstruction des mythes soviétiques autour de la région de Donetsk – après tout, on croit généralement que le Donbass a acquis sa puissance industrielle sous Staline, alors que ce n'est pas le cas. Gritsyuk a mené des recherches substantielles et approfondies, et le résultat est un film sur la manière dont, au tournant du XXe siècle, les Belges, les Français et les Gallois ont construit des usines et développé une industrie sur le territoire correspondant à ce qui allait plus tard s'appeler le Donbass. Dans le même temps, le réalisateur explore non seulement l’histoire de Donetsk, mais aussi celle de Lyssytchansk, Droujkivka et Marioupol.

Gritsyuk livre un film léger qui, pour avoir un contenu assez télévisuel, est un document historique important. C’est un film grand public fondé sur une approche scientifique qui parvient à happer l’intérêt du spectateur en présentant des faits intrigants très susceptibles de devenir pour lui de véritables découvertes.

Deux niveaux d’expertise sont réunis dans ce film. D’abord, des spécialistes de la région présentent le contexte d’ensemble, comme l’ancien ambassadeur d'Ukraine en Belgique, Yevhen Bersheda, ainsi que les historiens Igor Kozlovsky, Leonid Marushchak et Larisa Yakubova. Ces gens sont des chercheurs sérieux qui sont complètement au fait du contexte de ce sujet, et fournissent une toile de fond exhaustive à l'histoire que raconte le film. Pendant qu'il travaillait sur Eurodonbas, Gritsyuk a enregistré avec eux de très longues interviews dont il a utilisé quelques extraits dans son documentaire. On y entend aussi les témoignages d'experts locaux, à savoir les gens de ces villes de l'est, qui nous les font visiter et montrent l’héritage architectural qui était encore debout au moment du film. Depuis, du fait de la guerre qui fait rage, un bon nombre de ces structures architecturales rares ont été détruites.

Aussi triste et terrifiant que cela puisse paraître, Eurodonbas est le dernier document qu’il reste de temps paisibles dans le Donbass – du moins relativement paisibles étant donné que depuis 2014, certains territoires étaient partiellement occupés par l’armée russe. Et si Mariupolis 2 [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film] de Mantas Kvedaravičius, tué par cette dernière, a été le premier film documentant la vie en Ukraine depuis le début de cette guerre de grande ampleur, celui de Gritsyuk porte encore un peu de la lueur fantomatique d’un passé plus serein. Ce film devrait être vu tout spécialement par les spectateurs européens pour qu'ils comprennent mieux que le conflit dans le Donbass, qui a été le germe de la guerre en Ukraine, n’a aucune base valide : en effet, le Donbass était initialement européen, et ce n’est qu’ensuite qu’il a été englouti par l’industrialisation soviétique.

Eurodonbas est un film ukrainien, produit par 435 Films.

(Traduit de l'anglais)