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SUNDANCE 2023 Premieres

Critique : Passages

par 

- Ce film d’Ira Sachs, dont l’apparente simplicité est trompeuse, pose un regard attentif, généreux et réaliste sur le fait que les gens changent et restent les mêmes tout à la fois

Critique : Passages
Adèle Exarchopoulos et Franz Rogowski dans Passages

Les films d’Ira Sachs sont toujours ancrés dans un monde qui ressemble au nôtre, mais souvent accentué par le style, plus lisse et plus propret que le réel. Ses personnages ne sont toutefois pas des anges, et le mélange compliqué de défauts et de traits positifs qu’ils présentent, leurs lacunes et leurs complexes rendent son œuvre profondément humaine. Ces préoccupations et cette approche avaient atteint un paroxysme dans Frankie [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Ira Sachs
fiche film
]
, un film qui transcende pratiquement le réalisme pour faire la lumière sur la vérité existentielle profonde de ses personnages.

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Avec Passages [+lire aussi :
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, dévoilé dans la section Premieres du Festival du film de Sundance 2023, le réalisateur américain donne peut-être l'impression de revenir au ton plus réaliste et sobre pour lequel on le connaît, mais quoique ce film s'inscrive clairement dans la continuité des autres, il fait aussi l’effet de s'en démarquer. Si Frankie et les films précédents évoquaient le cinéma d'Éric Rohmer, Passages renvoie davantage à Maurice Pialat, avec son réalisme plus fluide mais aussi plus sardonique. C’est un style qui va comme un gant à l’intelligence émotionnelle de Sachs, à son sens de la tension dramatique du quotidien et à son humour.

La séquence d’ouverture semble souligner délibérément ce passage à une nouvelle forme de réalisme : on y voit Tomas (Franz Rogowski) préparer ses comédiens pour une scène du film qu’il réalise, et donner à son acteur principal des conseils pour descendre naturellement un escalier. La scène suivante, comme pour s'écarter un peu du monde du cinéma, s’ouvre non pas sur l'image de Tomas, mais sur celle d'un groupe de jeunes gens qui ont travaillé sur le film et qui ont l’air de s’ennuyer à la fête de fin de tournage. Passages regorge de ce genre de juxtapositions ingénieuses et ironiques, qui puisent gentiment leur humour dans le fait que les personnages sont à différents stades de leur vie, et n'ont pas les mêmes priorités ni les mêmes intérêts. Même le mari de Tomas, Martin (Ben Whishaw), finit par se lasser de la fête et rentre, abandonnant Tomas sur la piste de danse.

C’est ainsi que Tomas rencontre Agathe (Adèle Exarchopoulos), qui fait partie d'un groupe de jeunes Français qui ont travaillé sur le film. Ils se plaisent immédiatement - ou pour être plus précis, et plus réaliste, ils cèdent tous les deux à la tentation et une danse innocente mène à une nuit d'ébats sexuels. Quand Tomas, excité par ce développement inattendu, en parle à Martin, ce dernier réagit de la manière la plus britannique qu'on puisse imaginer : il change de sujet et quitte la pièce. Les trois membres de ce triangle amoureux font presque l’effet de clichés : on a l’artiste allemand gay new-age, l’Anglais réservé et la Française libérée. Sachs et son co-scénariste Mauricio Zacharias reconnaissent l'élément comique de cette configuration, mais ils insufflent aussi de la vie dans ces personnages en prenant leurs émotions et leurs désirs au sérieux. Visuellement, ça se traduit jusqu’aux interprétations du trio, qui sont trois des acteurs les plus naturels de leur génération. Chacun a ici un rôle qui use pleinement de son talent unique : dans le cas de Rogowski sa présence et son côté physique, dans celui de Whishaw ses expressions subtilement calibrées et dans celui d'Exarchopoulos son mélange d’innocence et de force. Cette générosité par rapport aux personnages apparaît aussi dans la manière dont le film se délecte à simplement les regarder : la cheffe opératrice Josée Deshaies rend chaque image non seulement belle, mais aussi très attentive à l'ensemble du corps des acteurs, de la manière dont ils se déplacent dans un espace à leurs plus petits gestes et regards en coin. La monteuse Sophie Reine les laisse quant à elle évoluer : ce sont leurs mouvements et leurs émotions qui dictent la forme de chaque scène, et non l’inverse.

Le film est irrésistible à chaque instant (lors d'une séquence particulièrement magique, l'auteure de ces lignes et les autres journalistes réunis dans la salle étaient tous radieux face à l’écran), mais Sachs construit aussi avec une grâce époustouflante un arc narratif bien ancré dans le réel et crédible pour ces trois personnages à la croisée des chemins. Les désirs et attentes mal ajustés peuvent être drôles, mais ils peuvent aussi être bouleversants, et ce qui aurait pu être une comédie de moeurs d’une banalité rassurante sur des gens qui testent différents styles de vie s'avère être un récit doux-amer sur les grandes espérances, les formidables rencontres sexuelles, les déceptions douloureuses et les décisions difficiles. C’est une histoire qui, dans les mains d’un cinéaste moins bon, aurait facilement pu tomber dans le mélodrame bon marché. Sachs lui rend justice en faisant en sorte qu'aucun moment ou enjeu ne paraisse jamais plus ou moins important qu'il ne l'est vraiment. Son respect à la fois pour ses personnages et son public, sa sincérité et son courage comme réalisateur font de Passages un de ses meilleurs films et le travail d’un artiste dans le sens le plus pur du terme.

Passages a été produit par Saïd Ben Saïd pour SBS Films Productions (France). Les ventes internationales du film sont gérées par SBS Films International

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(Traduit de l'anglais)

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