24/01/2023 - Anna Hints fait ses débuts dans le long-métrage documentaire avec un travail sincère et touchant qui se penche sur la magie d’un sauna à fumée et sur les gens qui partagent cette expérience

Ceux qui ne résident pas dans les pays nordiques ou baltes trouvent peut-être un tantinet ridicule l'idée que le sauna est quelque chose de sacré, compte tenu des clichés de chambre à transpiration de salle de gym exiguë ou de centre de loisirs urbain qui affluent immédiatement dans l'esprit du non-initié. Mais depuis que l’UNESCO a classé au patrimoine culturel immatériel de l'humanité la tradition des saunas à fumée du Võrumaa, au sud-est de l’Estonie, on peut mesurer à quel point le sauna fait partie intégrante de la vie de beaucoup de gens et de beaucoup de sociétés. Smoke Sauna Sisterhood [+lire aussi :
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interview : Anna Hints
fiche film], le premier long-métrage documentaire d'Anna Hints, projeté à Sundance dans la section World Cinema Documentary, est, d’un côté, une célébration du sauna qui explore les rituels et le folklore qui nourrissent cette expérience, mais c'est aussi, de l'autre, un hymne au pouvoir guérisseur du sauna à fumée (autant spirituellement que physiquement) et à la force intérieure des personnages qui le pratiquent.

Là, les femmes vont se poser et partager cette expérience unique. La chaleur monte, les corps dénudés ruissellent de transpiration et les dos sont fouettés avec des branches de bouleau, et tandis que leurs corps sont purifiés, la chaleur du sauna et les petits bains froids creusés dans la neige au-dehors constituant un binôme sans pareil, les femmes ont le temps de révéler leurs histoires personnelles. Ce sont des histoires de tristesse, de terribles agressions sexuelles et de deuil profond, de sexualité déboussolée et de désespoir total, mais aussi de rencontres sexuelles amusantes, d’amour et d’espoir. Dans le sauna, il n’y a pas de jugement : juste de l’acceptation. L'âme en ressort aussi purifiée que le corps.

Hints parvient à créer un espace éthéré et magique, dans un film qui requiert d'être vu sur sur grand écran en compagnie d’un public. En découvrant ce qui constitue à l'évidence un accomplissement technique extraordinaire (Hints a révélé dans des interviews que beaucoup pensaient que les caméras ne supporteraient jamais la chaleur du sauna), on a souvent l’impression d'y être, d'être dans le sauna, et par le simple pouvoir de la suggestion, on s'attend presque à ce que certains membres du public sentent monter la température de leur corps. Grâce à l’intelligent travail du chef opérateur Ants Tammik, le film joue sur l’anonymat que permet cet endroit. Les ombres, les volutes de fumée et les reflets luisants sur les peaux rosies composent un tableau d'une beauté abstraite, celui d'un espace sûr et inconnu à la fois, libre et accueillant.

La candeur des personnages est souvent émouvante, et leurs histoires sont bouleversantes. En effet, au même titre que ce film est une analyse de l'expérience du sauna à fumée, c’est aussi un document résolument féministe. À entendre les histoires racontées, qui parlent souvent d'assujettissement des femmes, on comprend que le propos sous-jacent porte sur une société qui a encore beaucoup à apprendre sur l’égalité des genres, mais on sent aussi la force du collectif, du lien créé là, qui offre l'espoir d'un lendemain plus gai pour la nouvelle génération.

Il y a quelques parallèles entre le sauna et le cinéma. Ce sont tous les deux des endroits où les gens sont ensemble dans le noir, où on se réunit pour écouter et apprendre, et dont on ressort (quand les circonstances sont bonnes) bien plus épanoui qu’on ne l’était en entrant. Ceux qui verront Smoke Sauna Sisterhood se sentiront certainement galvanisés après.

Smoke Sauna Sisterhood est une coproduction entre l’Estonie, la France et l’Islande qui a réuni les efforts d'Alexandra Film, Kepler 22 Production et Ursus Parvus. Les ventes internationales du film sont gérées par Autlook Filmsales.

(Traduit de l'anglais)