Critique : Donkey Days
- Rosanne Pel met en scène, dans son deuxième long-métrage, la rivalité de deux sœurs qui essaient de gagner l’amour et l’attention d’une mère excentrique

Les dynamiques familiales sont toujours difficiles à gérer. Ce n'est pas pour rien, si les relations au sein des familles sont souvent au centre des travaux littéraires et cinématographiques. C’est en tout cas ce qui se passe dans Donkey Days [+lire aussi :
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fiche film], le deuxième long-métrage de la scénariste et réalisatrice Rosanne Pel, jusqu'ici connue pour Light as Feathers [+lire aussi :
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fiche film] (2018), un film où elle examinait la manière dont une relation abusive entre un adolescent et sa mère peut déteindre sur le monde extérieur, qui avait fait sa première à Toronto. Donkey Days a été dévoilé dans le cadre de la compétition du Festival de Locarno.
Cette fois, les personnages centraux sont deux sœurs adultes, Anna (Jil Krammer, pour la première fois à l'écran) et Charlotte (incarnée par l’actrice allemande Susanne Wolff, récemment aperçue dans Köln ’75 [+lire aussi :
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fiche film]), qui se sont toujours battues pour avoir l’attention de leur mère. La mère, Ines (interprétée par l'actrice chevronnée Hildegaard Schmahl), est elle-même une femme très compliquée. Au début, on pourrait penser qu’elle essaie d’équilibrer les choses entre ses filles, mais elle ne fait en réalité que nourrir leur rivalité. La question est de savoir si elle le fait consciemment, pour les manipuler, ou sans s'en rendre compte, simplement à travers ses choix discutables.
Les deux sœurs ont adopté des attitudes différentes vis-à-vis de leur mère. Anna, institutrice de son métier, réagit de manière impulsive, en boudant ou en faisant des caprices puérils. Charlotte essaie de renvoyer l'image d'une personne extrêmement organisée. Dans un cas comme dans l'autre, ces tactiques affectent leurs vies : Anna arrive à saborder sa relation avec sa compagne Noe (Amke Wegner), et Charlotte fait toujours l'effet d'être froide et distante. L’âge de plus en plus avancé d'Ines et ses secrets (notamment son "urne mystère" et sa passion pour les ânes), qu'Anna et Charlotte découvrent peu à peu, représentent des défis nouveaux, pour chacune d'elles et dans la relation déjà tendue qui les unit.
La structure du film, où les deux premiers tiers peuvent être vus comme une exposition prolongée, ne fait pas du visionnage de Donkey Days une expérience très plaisante, mais elle a l'avantage de placer le spectateur directement dans l’esprit des deux sœurs, en particulier celui d'Anna, et de lui faire ressentir le tumulte émotionnel auquel elles font face à chaque fois qu'il s'agit de leur mère. On peut se perdre légèrement ou être un peu déconcerté par le fait que pendant l'exposition, l'intrigue n'est peut-être pas (ou peut-être que si) présentée dans l'ordre chronologique tandis qu'en parallèle, la réalisatrice introduit une sorte de "réalité alternative" où les deux sœurs rencontrent leur mère jeune, à peu près à leur âge. Ce sentiment un peu agaçant de désorientation est encore accentué par les mouvements de la caméra (maniée par la cheffe opératrice Aafke Beernink), instable, tenue à l'épaule, avec de nombreux balayages horizontaux, par le montage apparemment grossier de Xander Nijsten et par la musique atonale d'Ella van der Woude.
Le travail des comédiennes fait partie des éléments qui sauvent le film. Hildegaard Schmahl a un charisme indéniable, et l'alchimie entre Susanne Wolff et Jil Krammer crève l'écran. Cette dernière donne la réplique à une autre non-professionnelle, Amke Wegner, et grâce à la direction de Rosanne Pel, on ne remarque jamais leur manque d'expérience. Il faut citer aussi l'intervention de Carla Juri, excellente dans le rôle de la jeune Ines des quelques flashbacks proposés par le film.
Au bout du compte, l'intérêt de Donkey Days est moins son histoire et son possible propos que ce que le film dégage. Ce genre d’approche pourrait être considérée comme risquée, mais il est évident en l’espèce que c’est un choix délibéré qui porte, de fait, la signature de cinéaste très singulière de son auteure.
Donkey Days a été produit par Family Affair Films (Pays-Bas) et JunaFilm (Allemagne). Les ventes internationales du film sont gérées par Totem Films.
(Traduit de l'anglais)
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