Critique : Animal Totem
par Aurore Engelen
- Benoit Delépine présente son premier long métrage solo, retrouvant le sens de l’absurde et de la critique sociétale qu’on lui connaît, avec peut-être, un supplément de poésie

Après 11 longs métrages écrits et réalisés en duo (un avec Jules-Edouard Moustic, dix avec Gustave Kervern, dont Louise Michel [+lire aussi :
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fiche film]), Benoit Delépine, auteur, réalisateur, mais aussi comédien et humoristique connu pour son sens acerbe de la comédie, signe pour la première fois un long métrage en solo, Animal Totem, découvert au Festival d’Angoulême, et projeté en Compétition longs métrages lors du 40e Festival International du Film Francophone de Namur. Il ne change pas pour autant radicalement de ton, retrouvant le sens de l’absurde et de la critique sociétale qu’on lui connaît, avec peut-être, un supplément de poésie, dans ce road-movie en valise à roulettes mettant en scène un justicier des temps modernes en lutte contre le monde d’aujourd’hui.
Darius (Samir Guesmi) marche le long d’une route, les pieds sur terre et la tête en l’air. Il porte un costume cravate, un air renfrogné, et une valise à roulettes attachée à son poignet. On ne sait pas grand chose de sa quête, juste qu’elle est de la plus haute importance, et du plus épais mystère. Darius marche, et sur sa route, il croise une succession de personnages improbables, comme autant de visages d’une humanité contrastée, à laquelle répond une autre succession de représentants du monde animal. Comme dans nombre de ses films précédents, Delépine chérit l’art de la scènette, des petites histoires dans la grande histoire au service de la mission globale que s’est donnée Darius, dont on comprend petit à petit qu’il mène un combat généralisé contre la pollution, les extinctions de masse, la prédation de l’homme sur la nature, ou pour résumer, l’hyper-capitalisme. Cette campagne que Darius arpente est constellée de champs aux pesticides, de zones pavillonnaires sorties de terre, de routes goudronnées, et même, du château d’un industriel glouton, néo-seigneur féru de chasse.
Au fil de la récitation d’un conte pour enfant à la portée symbolique, d’un duel avec l’apprenti shérif local, d’une rencontre avec une "hackeuse artisanale en circuit court", Darius multiplie les épreuves dans cette slow odyssée menée par un héros qui tient autant d’Ulysse que de Don Quichotte, voire de Saint François d’Assise. Car Darius à un pouvoir un peu spécial : il parle aux animaux. Et ceux-ci lui répondent. Delépine s’amuse ainsi à recréer le point de vue subjectif des bêtes croisées par Darius, changeant les optiques et les filtres, l’ambiance sonore aussi. Le voyage de Darius lui est filmée dans un format Scope gonflé, qui ajoute encore à l’étrangeté du tout. Au final, Animal Totem, dont le propos se précise de rencontre en rencontre, jusqu’à un dénouement en plusieurs étapes qui dévoile le pot-aux-roses, est une sorte de fable écologique plus engagée qu’il n’y parait, ou encore une charge assumée contre l’idée même de "croissance verte". Samir Guesmi met son allure de Pierrot lunaire au service du mystérieux Darius, d’abord déconcertant, avant de se livrer à travers une ultime pirouette : le choix de son animal totem.
Animal Totem a été produit par SRAB Films.
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