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LONDRES 2025

Critique : Orwell: 2+2=5

par 

- Raoul Peck revient sur le prophétique chef-d'œuvre de George Orwell, 1984, pour y trouver un éclairage sur notre tumultueux présent

Critique : Orwell: 2+2=5

Tout au long du premier mandat présidentiel de Donald Trump s'est livrée une guéguerre des couvre-chefs, la réponse la plus populaire aux casquettes rouges MAGA étant un modèle bleu où l'on pouvait lire “Make Orwell Fiction Again” (litt. "faites qu'Orwell redevienne de la fiction"). L’écrivain socialiste anglais George Orwell n'a jamais cessé d'être actuel après sa mort en 1950, mais du fait de la normalisation des idées d’extrême droite dans la politique mondiale et du déclin des standards communément appliqués pour séparer le vrai du faux, ces derniers temps, l’adjectif "orwellien" s'est trouvé de plus en plus fréquemment utilisé pour évoquer notre réalité, et non plus une dystopie fictionnelle. Après l'éloquent documentaire I Am Not Your Negro [+lire aussi :
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, dédié à James Baldwin, où une voix off accompagnait tout du long le parcours de l'œuvre de l’écrivain afro-américain, Raoul Peck reprend cette méthode dans Orwell: 2+2=5 [+lire aussi :
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, qui a fait sa première à Cannes avant de commencer une vaste tournée des festivals qui l’a amené, la semaine dernière, au Festival BFI de Londres.

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Orwell ayant aussi été un prolifique auteur de reportages et d'essais à la première personne, Peck intègre des passages de ces textes à ce qu'il fait lire à l'acteur Damian Lewis, à côté des romans classiques 1984 et La ferme des animaux, pour raconter la vie mouvementée de l’écrivain, en les accompagnant d'images d’archives, de photos et de nouvelles images tournées dans les lieux décrits. Cependant, si la formation intellectuelle d'Orwell (né Eric Arthur Blair, dans l'Inde coloniale) transparaît dans son autocritique de son statut social et si ses idées de gauche l'ont amené à se porter volontaire du côté des Républicains pendant la guerre civile espagnole, l'intérêt premier de Peck semble être de mettre en évidence la coïncidence terrifiante entre 1984 et notre présent. La véhémence rhétorique du film vient de la certitude qu'a le réalisateur qu'il peut utiliser des citations prises dans un roman publié en 1949 contre Trump, Poutine et autres leaders autoritaires et autocrates contemporains, et contre les guerres d’Ukraine et de Gaza, et faire en sorte qu’elles décrivent parfaitement ces situations actuelles. Comme le montage le suggère, la collecte de données en masse et l'état de surveillance sont des manifestations modernes de la figure propagandiste de Big Brother, et la manipulation sournoise du langage par les politiciens néolibéraux pour déguiser la "vérité" une version réelle de Newspeak, tandis que les inégalités croissantes et la stratification sociale nous rapprochent de plus en plus du super-État d'Océania, qui contrôle impitoyablement le moindre geste.

Si ces comparaisons et d’autres néologismes orwelliens classiques (doublepensée, trou de mémoire...) se sont retrouvés sous la plume de nombreux commentateurs, il y a quelque chose de disjoint dans l'entreprise de Peck, qui cherche à fourrer toutes les inéquités de notre monde dans le sac de l'univers fictif, visionnaire certes, mais néanmoins clos, conçu par Orwell. Ce dernier s'est tourné vers la fiction allégorique à la fin de sa vie littéraire, continuant de transmettre les principes politiques qu’il a défendus passionnément tout au long de son existence, mais de manière plus indirecte, plus suggestive (et extrêmement efficace, à en juger de la longévité de son œuvre). Il faut aussi se rappeler que 1984 est un livre follement drôle et ludique, et non un laïus usant de licences artistiques pour donner à ses sources d'inspiration réelles (du nazisme au communisme soviétique) des formes encore plus expressionnistes et cauchemardesques. Si le film a un aspect didactique un peu rebutant, dans ses meilleurs moments, on sent l'hésitation de Peck quant à savoir si la dystopie orwellienne est déjà devenue réalité, ou si 1984 peut encore nous équiper et nous avertir contre des développements encore plus terribles, qu’ils soient d'ordre autoritaire ou liés à une intelligence artificielle qui ne serait pas strictement réglementée.

Orwell: 2+2=5 a été produit par les États-Unis et la France à travers les sociétés Jigsaw Productions et Velvet Film, en coproduction avec Universal Pictures Content Group. Les ventes internationales du film sont assurées par Goodfellas.

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(Traduit de l'anglais)


Galerie de photo 18/05/2025 : Cannes 2025 - Orwell: 2+2=5

12 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.

Raoul Peck, Damian Lewis, Alexei Aigui, Alexandra Strauss, Laurence Lascary
© 2025 Fabrizio de Gennaro for Cineuropa - fadege.it, @fadege.it

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