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FILMS / CRITIQUES

Ultranova

par 

- Un film au regard original qui parle des choses et des gens de chez nous avec une tendresse teintée de doux absurde et de mélancolie

"Au fond, mes personnages s'emmerdent tous profondément. Ils aspirent à vivre autre chose, pourtant ils ne s'en donnent pas les moyens. Comme nous, ils sont fragiles, traversés de questions, ils ont besoin de tendresse. Mais plutôt que de l'avouer, ils se laissent lentement glisser. Ils ne se rendent pas compte que doucement ils s'endorment. Mes héros sont comme des petites étoiles dont on ne percevrait la chaleur que lors de leur implosion, comme les supernovœ qui brillent une dernière fois avant de mourir définitivement. Moi, j'espère qu'ils ne mourront pas définitivement. J'espère qu'ils iront au-delà de ça. Pour moi, ce sont des ultranova." (Bouli Lanners, interview extraite du dossier de presse)

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Le 27 avril 2005 sortira sur les écrans belges un successeur des Toto le héro, C'est arrivé près de chez vous, Ma Vie en rose, Les convoyeurs attendent, Rosetta... un film fortement ancré dans son terroir et pourtant universel, un film au regard original qui parle des choses et des gens de chez nous d'une petite voix toute simple, avec une telle tendresse teintée de doux absurde et de mélancolie qu'on ne peut que craquer. Un film fait d'hiver, de brouillards, d'espaces vides au milieu de nulle part, de bistrots au bar desquels viennent s'accrocher des destinées solitaires, d'amours qui n'osent pas se dire, de la mort qui surgit pour un rien au détour d'une route. Un vague western où des lonesome cow boys croisent des extraterrestres en mal de soucoupe sur fond de juste ce qu'il faut de chaleur humaine. Ce film, dont on sait qu'il va rencontrer le public qu'il mérite, c'est Ultranova [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Bouli Lanners
fiche film
]
, le premier long-métrage de Bouli Lanners.

On connaissait Bouli pour ses deux courts-métrages, Travellinckx et Muno. Ils avaient suffi au jeune comédien et réalisateur liégeois pour imposer son style. Il dit que ses films sont composés comme des puzzles, faits de dizaines de pièces, chacune restituant des petites histoires qu'on lui a racontées, qui lui sont arrivées ou qu'il a subtilisé d'une oreille attentive aux comptoirs des cafés du commerce. Mais ces pièces, il faut les emboîter ensemble de telle manière qu'elles constituent un tableau susceptible de nous émouvoir. Ces histoires, il faut leur trouver des supports dignes d'elles sous forme de personnages que nous pouvons reconnaître et qui puissent les porter. C’est est l'art de l'écrivain, du scénariste, du réalisateur. Bouli nous avait démontré qu'il était capable de réaliser ce petit miracle avec sa patte bien à lui. Cette patte qu'on retrouve magnifiée, transcendée dans Ultranova.

Le film nous emmène à la découverte de Dimitri, un jeune homme dans la vingtaine. Les gens disent qu'il est bizarre. Lui n'a pas de contacts avec eux, sauf un peu avec Jeanne, sa voisine du dessous. Elle est intriguée par ce jeune homme taciturne sur le passé duquel circulent d'étranges histoires. Dimitri fait partie d'une équipe de trois VRP qui vend des maisons clé sur porte, à bâtir dans des lotissements perdus dans la campagne. Un quotidien qui ne le satisfait pas franchement mais qu'il traverse de manière évanescente. Jeanne a une copine, Cathy qui travaille avec elle dans un entrepôt de meubles. Un jour, Dimitri et Cathy se rencontrent en bas de chez Jeanne. Ils décident de se revoir. Entre Cathy, la fille adoptée et Dimitri, dont on dit qu'il est orphelin, naît un sentiment d'attirance mais pour que cette attirance se transforme en relation amoureuse, il faudrait que l'un d'entre eux s'engage, c'est à dire prenne des risques.

Au départ de ce canevas minimaliste, Bouli tisse ses histoires sur le mode mineur. Il nous convie à partager la vie de ses personnages : le trio des vendeurs, les deux filles, mais aussi la serveuse du bistrot (qui est enceinte, l'un des collègues de Dimitri en est sûr), un autostoppeur malchanceux, d'autres encore. Tous, quelque part, ont une faille. Aucun ne se sent à l'aise dans le monde dans lequel il vit. Ils sont nostalgiques d'un passé qui n'est plus ou, à côté d’une réalité médiocre, ils s'inventent un monde à vivre. Tous au milieu des autres, malgré les autres, souffrent d'une affreuse solitude, bien d'époque. Il y a du Souchon dans la manière désabusée dont ces gens traversent le monde dans lequel ils vivent sans le reconnaître pour le leur. Mais cette tristesse, cette mélancolie, le réalisateur sait la contrebalancer par de petites touches d'un humour absurde, décalé. Un humour de situation, quelque part entre Keaton et Kaurismaki. Et la sauce, ainsi allégée, prend. Toutefois, ce qui donne le véritable prix à ce film qui, autrement n'eut été que grisaille, c'est le regard que pose Bouli Lanners sur ses personnages. Ces paumés ordinaires, il les aime, les couve d'un œil jamais condescendant, jamais méchant. Même avec celui des VRP qui se comporte en véritable salaud ordinaire. Il montre à quel point ce type a mal, comment il est victime des rêves de réussite qu’il s’inflige comme une flagellation, pour essayer de s’intégrer à un modèle social qu’il fantasme et qui reste hors de sa portée.

Et la caméra suit le mouvement. Elle colle aux personnages, capte les moindres expressions de leurs visages et en même temps n’oublie jamais de les replacer en situation.Il faut voir la manière dont elle pénètre dans l’entrepôt de meubles, se faufile dans les rangées de caisses et de palettes pour rejoindre Cathy et Jeanne qui, pour l’heure de la pause, se sont fait une île de fauteuils, de tables et de cartons. Dans le bar "Le Rustique" perdu au bord de la route au milieu de nulle part, la caméra s’assied au comptoir pour partager les conversations des buveurs. Voire suivre simplement le regard ennamouré d’un de nos vendeurs couvant la serveuse en trouvant qu’il n’y a rien de plus qu’une femme enceinte et se demandant si ses seins ont déjà changé de volume et de forme, jusqu’à ce que la situation se retourne confrontant malicieusement notre homme à ses fantasmes. Et puis, il y a ces grands paysages d’espaces vides, de plaines embrumées, battues de pluie et de vent. Avec un ciel si bas... Il se dégage de tout cela une poésie du quotidien qui est l’essence du rêve de Bouli et sur laquelle il peut sans problème placer son humour décalé. Une poésie qui parle de choses et de gens que nous reconnaissons, avec laquelle nous nous sentons chez nous.

Dans Ultranova, il n’y a pas de superhéros sauvant le monde, ni de gangsters à la mâchoire carrée qui défouraillent à tout va dans de grands crissements de pneus. Pas davantage d’explosions dantesques ni de paysages recomposés par ordinateur, mais un cinéma aux antipodes : épuré, naturaliste, nous emmenant au rythme lent des personnages. Bouli n’est pas liégeois pour rien. Simenon n’est pas loin, mais sans son pessimisme noir et désespéré sur la nature humaine. L’homme veut malgré tout croire au bonheur possible de ses "ultranova". Si Hapiness, My Own Private Idaho, Smoke, Au loin s’en vont les nuages, Western, L’homme sans passé ont partout connu le succès, il n’y a pas de raisons qu’il n’en soit pas de même d’Ultranova qui possède les mêmes qualités de regard, les même atouts d’humour, de sincérité, d’humanité.

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